L`Intermède

Trois couleurs - Rouge

Trente ans de pinceaux ébréchés, films usés, pays parcourus, mots décomposés, classeurs empilés, post-it écornés, couleurs étalées... L'artiste canadienne Wanda Koop se voit offrir une rétrospective au
Musée des Beaux-Arts du Canada, à Ottawa : Sur Le Fil de l'expérience, jusqu'au 15 mai 2011.
 
Green Zone. Sur les murs bleus, des tableaux multicolores. L'oeuvre que présente Wanda Koop, artiste originaire de Winnipeg, au centre du Canada en 2004, décompose l'image pour redéfinir la couleur. Alors qu'elle suit les bombardements américains en Irak en mars 2003, elle est moins frappée par le contenu des images que par la façon dont elles lui parviennent : la transmission par satellite n'est pas infaillible, et il arrive que sa vue capitule devant le flot de données. C'est cette pixelisation que le mur couvert de tableaux de tailles diverses, dans lequel les motifs (une mosquée, un hélicoptère, une ruine...) se fondent dans une couleur unie, veut représenter. "A partir d'éléments de la vie quotidienne, comme des spwanda koop, wanda, koop, exposition, rétrospective, oeuvre, travail, biographie, parcours, interview, portrait,analyse, critique, ottawa, canada, sur le fil de l`expérience, 9 signs, green zoneots publicitaires ou des reportages télévisés, Wanda Koop effectue un travail de traduction, explique Josée Drouin-Brisebois, commissaire de l'exposition au Musée des Beaux-Arts du Canada. Elle aime jouer avec la façon de regarder." L'artiste se concentre sur ces instants éphémères où chaque élément existe de façon autonome, avant de se fondre dans un tout et devenir vecteur de sens. Pour cela, une gamme chromatique à la fois simple et complexe : les tableaux individuels sont peints dans une couleur unique, propre. Mais ensemble, ils créent l'illusion du mouvement sur le mur bleu. Ils font penser à des mots qui, mis ensemble, forment une phrase.

De fait, la couleur a été comme le déclencheur pour Wanda Koop : c'est lors d'une exposition dédiée à Vincent Van Gogh que l'artiste, alors enfant, découvre sa vocation. Plus tard, elle est fascinée par l'emploi de teintes criardes par les étudiants chinois en échange à l'école des beaux-arts de l'Université du Manitoba (Canada). Blâmée par ses professeurs lorsqu'elle décide elle-aussi d'appliquer des roses vifs ou du vert citron à ses toiles, elle prend conscience de la valeur culturelle de la couleur et découvre qu'elle peut être une fin en soi, un langage. Par la suite, l'artiste ne cesse d'approfondir sa compréhension et surtout sa maîtrise de la couleur, à l'occasion de voyages en Chine, notamment, mais aussi par d'innombrables essais sur toile. L'évolution est notoire : aux tons naturels des années 1970 succèdent des contrastes de plus en plus forts, avec l'emploi de couleurs électroniques. Témoin, la série Lignes de visée (2000) : dans des paysages peints avec délicatesse, rappelant des aquarelles aux tons paisibles, l'incision d'un rouge vif, sanglant, renvoie aux marques du viseur des fusils. Le regard n'a d'autre choix que de s'attacher au rouge éclatant pour délaisser la douceur des bleus et beiges. Pour Koop, la couleur sert, du reste, d'intermédiaire vers la pensée.
 
A travers le viseur qui prend pour cible un wanda koop, wanda, koop, exposition, rétrospective, oeuvre, travail, biographie, parcours, interview, portrait,analyse, critique, ottawa, canada, sur le fil de l`expérience, 9 signs, green zonepaysage imaginaire, l'artiste interroge l'expérience du monde, de moins en moins directe. Entre l'homme et son environnement s'est glissé un écran. La connaissance du monde semble augmenter, mais l'interaction immédiate avec lui diminue. A l'image de cette inflation paradoxale, le projet Green Zone est un acte de haute voltige picturale où l'artiste met en scène 311 peintures associées à trois vidéos pour jongler avec la représentation des médias. "Wanda Koop réfléchit à la médiation d'aujourd'hui, à la perte de contact avec le monde, poursuit Josée Drouin-Brisebois. Sans jugement." Au moment où la peintre  termine ses études, dans les années 1970, les premiers mouvements écologistes tentent d'attirer l'attention de la communauté internationale sur la marche destructive que cette dernière a entamée depuis l'industrialisation. L'artiste s'approprie les oppositions rhétoriques autour du concept de nature et interroge la médiation matérielle que réprésente l'écran tout en questionnant notre socialisation. Partant de l'idée que la nature, en tant que telle, n'existe pas ; qu'elle est le fruit d'une construction, d'une manipulation, d'une transformation sociale.

Pour le critique Robert Enright, l'oeuvre de Koop agit comme un catalyseur : "Plutôt que de décomposer les choses, elle a trouvé le moyen d'intensifier ce que nous sommes en train de regarder." C'est, d'une certaine façon, ce qui lance l'artiste, avec sa série 9 signs en 1983. Chaque toile propose un motif apparemment simple : un corbeau aux plumes luisantes sur fond jaune, une roche, une antenne. Wanda Koop voyage à travers le Canada et amasse une multitude de "notes visuelles" prises dans des carnets. Ses impressions sont triées, brisées, recomposées, pressées jusqu'à n'en tirer que les images les plus signifiantes. Autant  d'allégories successives. L'abstraction ne tient pas seulement aux formes simplifiées que l'artiste choisit mais également au contexte artificiellement dénudé et simplifié dans lequel elle place ses représentations. Larme par exemple, wanda koop, wanda, koop, exposition, rétrospective, oeuvre, travail, biographie, parcours, interview, portrait,analyse, critique, ottawa, canada, sur le fil de l`expérience, 9 signs, green zonepeint en 1996, se veut la figuration de toutes les larmes jamais versées. "Le travail d'épuration qu'elle entreprend donne à ses toiles une dimension symbolique qui érige sa peinture en forme de langage", explique la commissaire. Mais les tableaux de 9 signs suscitent le malaise, l'inconfort d'un regard qui perçoit sans voir, frustré de ne pouvoir s'approprier entièrement l'objet du désir visuel. Froides et intimidantes, ces oeuvres sont les premières à exprimer une angoisse environnementale dans la peinture canadienne. Quelques années plus tard, Wanda Koop endosse le rôle de Cassandre avec Suite atomique, variant le bleu et le noir pour dépeindre la fusion partielle du coeur du réacteur nucléaire à Three Mile Island en 1979. Ces tableaux sont exposés au printemps 1986, quelques semaines seulement avant la catastrophe de Tchernobyl. "Wanda Koop s'intéresse au conflit dans la société en travaillant à partir d'images. C'est une artiste politique, à sa façon."

Fille d'immigrants russes mennonites venus s'installer au Canada après la révolution de 1917, l'artiste comprend tôt le poids des idées : "J'ai toujours vécu comme si j'arrivais à peine à joindre les deux bouts ; c'est la raison pour laquelle je me suis davantage intéressée aux choses immatérielles, parce que j'ai toujours eu conscience qu'on pouvait rapidement tout perdre après avoir tout eu", affirme-t-elle en 1997. Wanda Koop est pourtant loin d'avoir une approche intellectuelle de la peinture. Elle apprécie particulièrement l'engagement physique avec son art : tout son corps est investi dans l'acte d'étaler la couleur. Peindre devient dès lors une performance, une chorégraphie au rythme du pinceau. Ses tableaux sont à la taille de son corps, de ses gestes fougueux, de son audace à être monumentale. Pour l'artiste canadienne, la création est de l'ordre de l'intime, non un geste distant du poignet mais bien un engagement du corps dans sa totalité.
 
Une implication qu'elle attend aussi de la part du wanda koop, wanda, koop, exposition, rétrospective, oeuvre, travail, biographie, parcours, interview, portrait,analyse, critique, ottawa, canada, sur le fil de l`expérience, 9 signs, green zonespectateur. "Wanda aime peindre des oeuvres qui créent un environnement, une expérience pour le spectateur", souligne Josée Drouin-Brisebois. Libre de faire ses propres associations, notamment parce que l'artiste se réfère à un vécu partagé, celui-ci est cependant encouragé à observer, sélectionner, comparer, interpréter. En un mot : participer à la création. Mais son cheminement ne saurait être le pur fruit du hasard. Car, très tôt, Wanda Koop s'implique dans l'organisation de ses expositions afin de mettre sur pied des récits visuels cohérents. Sous son contrôle, les salles d'exposition se transforment en véritables réseaux de figuration avec une inclusion croissante de la vidéo, non comme simple composante secondaire mais comme pièce incontournable dans la ligne rythmique du projet. La disposition des tableaux dans Green Zone imite ainsi l'aléatoire pour traduire une décomposition numérique à grande échelle. Face à l'intimité de l'artiste peignant se dresse progressivement l'intimité du visiteur regardant.

Une démarche qui explose dans son récent travail, en collaboration avec la chorégraphe Jolene Bailie, la compositrice Susan Chafe et le concepteur d'éclairage Hugh Conacher, entrepris entre 2009 et 2010 : Humain Hybride se conçoit comme un système pour capter, travailler, renvoyer le regard du spectateur et interroger les notions mêmes d'authenticité et d'immédiateté. Dans une salle à la lumière tamisée, la projection d'ombres animées d'hommes et de femmes sur des tableaux blancs en fait des écrans, sur lesquels le spectateur peut lui-même se projeter. Mary Reid, à l'origine de l'exposition en tant que conservatrice de la Winnipeg Art Gallery, souligne l'ingéniosité de l'artiste canadienne: "Pour Koop, le tableau peint est un autre type d'écran qui a le pouvoir de se métamorphoser en miroir. Quand nous regardons ces tableaux, nous nous y voyons en train d'observer notre propre reflet."
 
Asmara Klein, à Ottawa
Le 24/04/11
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Wanda Koop. Sur le fil de l'expérience
, jusqu'au 15 mai 2011
Musée des Beaux-Arts du Canada / National Art Gallery of Canada
380, promenade Sussex drive
Ottawa, Ontario
Tlj (sf lun) 10h - 17h
Nocturne jeudi (20h) 
Tarif plein : 9 $CAD
Tarif réduit : 7 $CAD
Rens. : 1 800 319 2787


Cet article fait partie du Dossier couleurs






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