L`Intermède
Saul Steinberg : pointe, à la ligneSaul Steinberg, ligne, signe, musée Tomi Ungerer, centre international de l`illustration, illustrateur, art, Strasbourg, France, écriture visuelle, institution, Thérèse Willer, exposition
Après avoir ouvert ses portes en 2007, le musée Tomi Ungerer – Centre International de l'Illustration de Strasbourg, inaugure sa programmation consacrée à l'histoire de l'illustration du XXe siècle avec l'exposition Saul Steinberg, l'écriture visuelle.


Premier musée français consacré à l'illustration, secteur artistique méconnu voire mal considéré s'il en est, et première institution publique à présenter Saul Steinberg, le musée Tomi Ungerer et sa conservatrice Thérèse Willer affichent d'emblée une ambition d'envergure : ouvrir la brèche pour une multiplication des expositions consacrées aux grands illustrateurs du XXe siècle. Loin d'être anodin, le choix de l'Américain Saul Steinberg (1914-1999) pour ouvrir ce cycle d'événements - le prochain devrait être consacré à Ronald Searle en 2011 - est en soi un manifeste. Thérèse Willer le dit elle-même, "[Steinberg] est le maître absolu", et son influence immense sur Tomi Ungerer, comme sur bien d'autres illustrateurs, justifie à elle seule cette exposition dans le musée de l'illustrateur strasbourgeois, qui a écrit à propos de son mentor : "Bien d'autres dessinateurs, humoristes ou non, m'ont aussi à l'époque et par la suite influencé, mais non pas marqué". Ainsi, le ton est donné : Saul Steinberg est de ces grands artistes qui marquent leur époque, et l'exposition, qui n'est pas une rétrospective, cherche à mettre l'accent sur ce qui fait son originalité.

Pourtant, Thérèse Willer a limité ses démarches de collecte aux seuls collectionneurs européens, délaissant le fonds très important de la Fondation Steinberg à New York, non seulement pour des raisons budgétaires, mais aussi dans une volonté de se démarquer de l'exposition qui avait été montée par cette Fondation en 2006 et qui, au cours de son voyage à travers le globe, était passée par la Fondation Henri Cartier-Bresson en 2008. Ainsi, c'est avec des œuvres de près de six pays européens, dont 90% proviennent d'institutions privées - c'est dire le large désintérêt que les États ont porté au secteur de l'illustration - que la commissaire de l'exposition a dû composer, la collection comptant nécessairement quelques lacunes. Le choix d'un accrochage thématique est donc le reflet des collections privées européennes, quoique cet apparent foisonnement de thèmes et de techniques rende assez bien compte de l'œuvre de Steinberg qui est véritablement "une mosaïque".

Protéiforme, la création de Steinberg puise dans de multiples inspirations, influences et techniques, et ne semble obéir à aucun schéma chronologique précis. Le dessinateur n'a pas eu de périodes, mais a tout mélangé, à toute époque. Né en 1914 en Roumanie, l'artiste juif, très tôt doué pour le dessin, connaît les affres de l'exil lorsque son pays d'origine cède à l'antisémitisme et lui interdit l'entrée en école d'architecture. Steinberg part alors en Italie pour étudier l'art du bâti dans une prestigieuse école milanaise, et commence à dessiner des caricatures pour la presse locale. 1938 : Hitler et Mussolini sont main dans la main, un certain nombre de lois raciales ferment peu à peu toutes les portes aux juifs. Les illustrations de Steinberg disparaissent des pages des magazines, et son diplôme d'architecte n'a plus aucune valeur dans la péninsule italique. En avril 1941 commence son périple administratif pour gagner le Nouveau Monde, où il ne pourra réellement débarquer qu'en juin 1942. De là vient peut-être sa fascination pour les faux-papiers. Durant son voyage, Steinberg ne cesse de colorier des pages entières, et envoie ses dessins à son agent new-yorkais. Afin d'être naturalisé Américain, il s'engage dans l'armée et devient officier de la Marine. Il ne revient qu'en 1944 à New York, où il commence une nouvelle vie, travaillant comme illustrateur de presse pour le magazine The New Yorker qui le rendra célèbre, et rencontrant la fine fleur de la création artistique contemporaine.

L'exposition du musée Ungerer dresse une esquisse de l'œuvre colossale de l'artiste américain connu pour son dessin clair et précis, dont la simplicité de la ligne permet à l'idée sous-jacente d'être comprise au premier coup d'œil. Comme l'écrit Tomi Ungerer dans le catalogue de l'exposition, "il ne suffisait que de quelques lignes minimales [à Steinberg] pour non pas seulement amuser, mais aussi exprimer en condensé une théorie, un concept". On parle de la ligne "pure" de Steinberg, du "one line drawing" auquel il est passé maître et qui consiste en un tracé continu sans lever la pointe du papier, qui a fait écrire au Corbusier que "[Steinberg] dessin[ait] comme un roi". Royalement donc, il expérimente. Sur une même feuille de papier, il mêle crayon de couleur, encre, tampons officiels qu'il a lui-même sculptés, empreintes digitales... et conçoit des œuvres indéfinissables. Selon les mots de Iain Topliss, Steinberg "a élaboré un langage artistique [...] personnel, [en s'appropriant différents styles et techniques] et en les détournant pour briser les frontières entre les genres et créer un style à la fois reconnaissable et inimitable". Ses œuvres sur papier ont influencé des générations d'illustrateurs – ce que Thérèse Willer a tenu à montrer à la fin de l'exposition avec certains héritiers notables tels qu'Ungerer naturellement, mais aussi Ronald Searle, André François, Jean Jacques Sempé ou encore Philippe Geluck – qui tous, si leurs styles sont parfois à l'opposé les uns des autres, ont puisé dans la concision de la ligne et de l'idée : la ligne comme signe.
 
Lucie Choupaut, à Strasbourg
Le 17/01/10
Saul Steinberg, ligne, signe, musée Tomi Ungerer, centre international de l`illustration, illustrateur, art, Strasbourg, France, écriture visuelle, institution, Thérèse Willer, exposition
Saul Steinberg, l'écriture visuelle, jusqu'au 28 février 2010
Musée Tomi Ungerer – Centre International de l'Illustration
2, avenue de la Marseillaise, Strasbourg
Tlj sauf mar : 12h-18h
Sam & dim : 10h-18h
Tarif plein : 5 €
Tarif réduit : 2.5 €
Rens : 03 69 06 37 27









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Crédits et légendes photos
Image 1 Tomi Ungerer, Sans titre (Steinberg, sa compagne et Ungerer à la plage), 1964, encre de Chine sur papier, 45 x 31 cm. Collection Musée Tomi Ungerer - Centre international de l'Illustration, Strasbourg © Musées de la Ville de Strasbourg/ Mathieu Bertola © Tomi Ungerer
Image 4 Affiche de l'exposition