de restituer une époque, sans ranger ses modèles ou ses techniques sous la coupe d'un académisme classique ou les conventions de la morale. Jusqu'au 17 juillet 2011, le Musée d'Orsay illustre le parcours de cet enfant terrible de la peinture avec l'exposition Manet, inventeur du Moderne.
mains épaisses, au visage déjà jauni par la mort, "peint en pleine franchise et vigueur" comme se plait à le souligner Zola, plus affirmé dans son soutien que Charles Baudelaire (1821-1867), mais moins constant que Stéphane Mallarmé (1842-1898) qui reste intimement lié à Manet jusqu'à la mort de ce dernier.
Madame Manet, qui apparaît avec Léon dans plusieurs des toiles du peintre - déguisé en page espagnol, pourpoint de velours et bas bleu turquoise, une épée trop lourde entre les bras, mais aussi L'Exécution de Maximilien (1867) dont la composition rappelle celle du Tres de Mayo de Goya (1814) : à l'insurgé espagnol ont succédé les proches de l'empereur mexicain et Maximilien Ier, et Manet a vêtu d'uniformes français les soldats tirant à bout portant sur les condamnés, pour rappeler le rôle que joue la France du Second Empire dans cette lamentable équipée qui tourne vite court.
Le découpage du décor est lui aussi renouvelé, comme dans En bateau (1874), composé à la façon des estampes japonaises que Manet admire tout au long de sa vie. Son Portrait d'Émile Zola, réalisé en 1868, montre ainsi, au-dessus du bureau où est assis l'écrivain, une petite reproduction d'estampe représentant l'acteur en costume traditionnel : l'horizon y est supprimé pour créer l'effet d'un plan plat. D'autres toiles témoignent d'une étude approfondie du cadrage pour créer une composition dramatique, comme L'Homme mort (1864), sur laquelle un torero s'étend à terre : alors qu'il était autrefois intégré dans un tableau plus grand qui comprenait d'autres sujets, Manet choisit de le redécouper pour concentrer tout le regard sur le cadavre. Nombre de natures mortes montrent elles aussi une volonté de dramatisation, comme dans le Vase de pivoines sur piédouche (1864) : les fleurs occupent presque toute la toile, sur un fond brun, tandis que le regard est orienté vers le bas par les pivoines en train de se faner et, surtout, la pivoine tombée à terre, les pétales déjà épars. L'usage de la couleur est sans nul doute pour beaucoup dans cette vitalité que Manet est capable d'inspirer à ses sujets : le rouge, le blanc, le noir du Joueur de fifre (1866) sont ainsi distribués en pleine pâte, sans atténuation aucune, comme pour imposer aux yeux des spectateurs la réalité de ce jeune enfant qui joue, hésitant, quelques notes sur son instrument à vent. Paul Valéry célébre en ces termes un portait de Berthe Morisot : "Avant toute chose, le Noir, le noir absolu, le noir d’un chapeau de deuil et des brides de ce petit chapeau mêlées de cheveux châtains […] m'a saisi" tandis que Zola note entre autres sur l'Olympia : "[…] le peintre a procédé comme la nature procède, par masses claires, par larges pans de lumière, et son oeuvre a l'aspect un peu rude et austère de la nature". Il y a, dans ce miroir que Manet dresse à la société, la palpitation de la vie. 