L`Intermède
Les mots bleus
Spécialistes aguerris ou néophytes distraits, rares sont
lettres, peintres, peintre,correspondances, musée des lettres et manuscrits, musée, manuscrits, mlm, paris, exposition, van gogh, monet, géricault, manet, léger, pissaro, gauguin, portrait, intimitéles amateurs de musées qui, en contemplant les oeuvres, n'ont en tête ni éléments biographiques ni anecdotes cocasses pour nourrir leurs observations. De l'oreille coupée de Vincent Van Gogh (1853-1890) à la mégalomanie de Salvador Dali (1904-1989), en passant par les moeurs tapageuses de Henri de Toulouse-Lautrec (1864-1901), les histoires circulent, se déforment et s'amplifient jusqu'à devenir de véritables mythes. Bousculer les idées reçues en présentant au public des documents qui permettent de voir dans un même élan l'homme et l'artiste, voilà l'ambition de l'exposition Des lettres et des peintres, présentée jusqu'au 28 août au Musée des Lettres et Manuscrits, à Paris.

Une encre violette que le temps a fait baver sur les feuillets de Claude Monet (1840-1926), des lignes très serrées chez Van Gogh, un tracé tout en arabesques pour Théodore Géricault (1791-1824) ou une plume gauche et enfantine chez Gaston Chaissac (1910-1964) : l'écriture des peintres est, en soi, un spectacle. Et s'il arrive qu'au détour d'une explication les mots laissent place au croquis ou à l'aquarelle, le plus souvent elle orne seule les pages de la lettre. Au-delà de la fascination qu'ils peuvent provoquer, "ces feuillets noircis donnent [aussi] à voir l'aisance d'écriture de certains, les fautes d'orthographe des autres, les pleins et les déliés… et, ils nous ouvrent l'intimité du peintre", explique Estelle Gaudry, commissaire de l'exposition. Une ouverture qui apporte "un éclairage nouveau sur l'homme derrière l'artiste".

Confidence. L'écriture épistolaire révèle une attitude qui n'est plus celle du peintre qui s'expose au monde, mais celle de l'homme qui se livre à un proche. Dès lors, la fragilité de certaines lignes, la vitesse d'exécution ou au contraire l'application, tout, dans la forme des mots, donne à voir et à comprendre le caractère des peintres qui les ont tracés. De feuillets en feuillets, certains mythes s'égratignent, quand d'autres voient le jour. C'est, par exemple, la surprise de découvrir que la plume d'Edouard Manet (1832-1883), que l'on soupçonnait presque d'être analphabète, se révèle être tout à fait aguerrie. C'est aussi le cocasse argot de Fernand Léger (1881-1955) - "Bravo mon Janot, t'es un Janot épatant. […] Alors te v'là riche, hein, 1000 balles ! Kektufais fiche de tout cela" - ou la malice d'un Paul Gauguin (1948-1903) qui écrit à Camille Pissarro (1830-1903) : "On dirait que le brouillard influe en ce moment sur votre moral, vous avez l'air de broyer du noir ; je croyais que vous ne vous serviez plus de cette couleur."

Plus qu'une délectation littéraire inattendue, ces correspondances offrent surtout un jour nouveau sur l'intelligence que les peintres ont de leur propre travail. Théories, influences et admirations sont autant de sujets qu'ils évoquent volontiers avec leurs pairs et leurs amis au fil de leurs courriers. Van Gogh se réclame ainsi d'Adolphe Monticelli (1824-1886) et Gauguin, Manet encense "maître Velasquez", et Eugène Delacroix (1798-1863) revit grâce à Rubens : "Ne me trouves-tu pas redevenu jeune ? Ce ne sont pas les eaux : c'est Rubens qui a fait ce miracle. Toutes les fois que je me suis ennuyé, je n'ai eu qu'à y penser pour être heureux."

Mais ce sont aussi les difficultés et peines des artiste dans le travail qui sont couchées sur papier. D'un côté, il y a les incompris, à l'instar de Gustave Courbet (1819-1877) qui, refusé au salon officiel, décide de faire construire un "temple" pour exposer ses oeuvres. Conspué par la critique,  il écrit à Victor Hugo (1802-1885), dans une lettre pleine de verve et de passion qui annonce le futur communard : "Les cochons ont voulu manger l'art Démocratique au berceau, malgré tout l'art démocratique grandissant les mangera." Mais il y a aussi les peintres qui, sans même se préoccuper des regards extérieurs, témoignent d'un abattement profond. A Mallarmé qui lui a commandé des dessins pour illustrer un recueil de ses poèmes, Monet ne peut que répondre par ce constat d'échec : "La vérité vraie, c'est que je me sens incapable de vous faire rien qui vaille. […] Dès que je veux faire la moindre chose avec des crayons cela est absurde et de nul intérêt."

Complainte. Le quotidien n'est pas toujours des plus simples pour ces hommes de l'art et, loin d'être les génies inspirés de la mythologie romantique, ils doivent sans cesse en découdre avec les circonstances. "C'est dur d'avoir de belles choses à peindre et d'avoir subitement devant soi une couche d'obscurité d'une couleur innommable", déclare Monet à sa femme. Le temps, les modèles, la qualité du matériel, nombreux sont les éléments qui, au grand désespoir des créateurs, empêchent la réalisation ou diminuent la qualité de leurs travaux. Et tout cela, bien entendu, sans compter les questions de santé : "Je voulais vous parler de votre portrait, vous dire que je ne vous oubliais pas mais j'ai mal aux dents", explique Renoir à Mallarmé.

Loin de vivre dans des sphères éthérées, les lettres, peintres, peintre,correspondances, musée des lettres et manuscrits, musée, manuscrits, mlm, paris, exposition, van gogh, monet, géricault, manet, léger, pissaro, gauguin, portrait, intimitéartistes doivent aussi composer avec les soucis financiers qui influencent considérablement leur travail ou leur état d'esprit, eux pour qui le commerce des tableaux et les relations avec les galeristes sont des préoccupations constantes. Monet, dans sa générosité, multiplie les lettres afin d'obtenir la somme nécessaire pour acheter L'Olympia à la veuve de Manet et l'aider ainsi "de manière discrète". D'autres sont loin de pouvoir se permettre de telles largesses et doivent avant tout subvenir à leur propres besoins : c'est Van Gogh qui "rencontre parfois des difficultés d'ordre pécunier [sic] qui [l]’empêchent de travailler", ou Pissaro qui déclare modestement : "Pourvu que je puisse joindre les deux bouts, je ne demande que cela, je ne tiens pas à faire fortune."

Autant d'occasions de conflits entre les peintres et les marchands. Ainsi, au cours des relations houleuses qu'il entretient avec le marchand Ambroise Vollard (1866-1939), Gauguin n'hésite pas à critiquer sa pingrerie, et à lui écrire avec sarcasme : "Prenez [moi] donc la couleur chez Lefranc elle est trois fois moins chère surtout pour vous marchand qui avez la remise et elle est bien meilleure." Marcel Duchamp (1887-1968) va plus loin encore et, ne daignant pas même s'attarder sur l’absence de générosité des marchands, rejette toute compromission en refusant d'exécuter des toiles qui soient comme "ces merdes qu'un artiste se voit obligé de fabriquer quotidiennement pour gagner sa vie".

lettres, peintres, peintre,correspondances, musée des lettres et manuscrits, musée, manuscrits, mlm, paris, exposition, van gogh, monet, géricault, manet, léger, pissaro, gauguin, portrait, intimitéChronique. Joies ou déceptions, lettres d'amour, déclarations d'amitié ou correspondances inquiètes sont le lot des artistes. Mais bientôt, au-delà de la sphère intime, c'est l'Histoire qui entre par la petite porte. Certaines correspondances valent, ainsi, documents d'archive historiques, comme ce courrier que Manet écrit pendant le siège de Paris, en 1870. Il n'y est plus seulement peintre, mais se fait aussi chroniqueur : "Degas et moi, sommes dans l'artillerie, canonniers volontaires, nous [nous] attendons bientôt à quelques grandes batailles sous Paris […]. Nous commençons à souffrir ici, on fait des délices du cheval, l'âne est hors de prix, il y a des boucheries de chiens, de chats et rats. Paris est mortellement triste." De l'histoire privée à la grande Histoire, la palette est complète.
 
Images : Guillaume Jamet
Le 13/07/11

Des lettres et des peintres, jusqu'au 28 août 2011
Musée des lettres et manuscrits
222, boulevard Saint-Germain
75007 PARIS 
Tlj (sf lun) 10h-19h
Nocturne jeudi (21h30)
Tarif plein : 7 €
Tarif réduit : 5 €
Rens. : 01 42 22 48 48



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Crédits images : Guillaume Jamet / L'Intermède