Denise Colomb à contre-courant
te qu’Aimé Césaire a invité Denise Colomb à venir photographier les siens avec un Rolleiflex et un Leica. Peu importe que la photographe n’ait pas la mine acérée d’un compas dans l’œil, et ne découpe pas le champ comme un puzzle géométrique. L’intention de l’artiste – saisir au plus près la vie aux Antilles, sans regard condescendant ni a priori – compte tout autant que le résultat. Elle s’interroge, et ses questions rencontrent un écho étrange aujourd’hui, alors que la question de "l’identité française" fait débat : "Où est la fraternité ? Pourquoi ne l'a-t-on jamais connue ? Précisément parce que la France n'a jamais compris le problème de l'identité." Ni innocence, ni insouciance, donc.
Entre son séjour en Indochine et celui à la Guadeloupe et à la Martinique, Denise Cahen, née Loeb, doit choisir un pseudonyme pour échapper à la Gestapo. Elle prend le nom du célèbre explorateur qui découvrit les Antilles, Colomb, sans savoir ce qu’il préfigure. C’est sous ce patronyme qu’elle expose ses clichés dans la galerie de son frère. "J'aimerais que vous photographiez mon pays comme cela", lui confie Césaire en 1948, lançant sa première commande officielle, et l’engageant définitivement vers la photographie. Elle doit accompagner l’écrivain Michel Leiris, qui ne l’apprécie guère. À son arrivée sur l’île, il la présente lors d’un dîner en ces termes : "Denise Colomb, qui vient se promener." Il ne sait pas encore à quel point il a tort.
