Un peu plus loin, une jeune indienne apparaît seule dans la boutique de son père. L'air inquiet, le regard triste, elle se tient les mains. L'arrière-plan est flou, les objets posés sur le comptoir coupés par le cadrage. Tout semble annoncer la disparition imminente du lieu. Car nous sommes en 1976, dans une boutique dont la destruction est prévue par le Group Areas Act, une loi définissant la répartition de la population selon des critères ethniques. Cette photographie, c'est l'histoire d'un exil dans sa singularité autant que dans ce qu'il a de tragiquement commun à l'époque. Dans la deuxième salle de l'exposition, affichée sur le carton qui accompagne son portrait, il y a l'histoire de Paul Lerato Tuge. Cambrioleur à 13 ans, toxicomane à 14, il sera inculpé sept ans plus tard pour avoir volé un pistolet et tiré sur un agent de police. Au-delà de la pudeur, en-deçà de l'exhibitionnisme, c'est l'histoire d'un homme dans toute sa singularité. Mais parmi la vingtaine de portraits d'anciens délinquants exposés par Goldblatt, les éléments de cette histoire, entre misère et violence, sonnent eux aussi comme de douloureux leitmotivs.
l'Apartheid, c'est l'objectif qu'il a choisi pour construire une oeuvre critique à partir des années 1960, récompensée en 2009 par le prestigieux prix Henri Cartier Bresson. En ce début d'année, pas moins de deux rétrospectives de son travail en Afrique du Sud ont lieu à Paris : la première, à la galerie Marian Goodman, s'est achevée le 19 février ; la seconde se poursuit jusqu'au 17 avril à la fondation HCB.
entrer dans la nouvelle chambre des Docrat à Lenasia (la zone réservée dans laquelle les Indiens de Joburg étaient forcés de vivre), il fallut enlever quinze centimètres à chacun des lits." Encerclée par ces quatre clichés, la jeune fille au regard triste apparaît plus oppressée encore. Cette dualité semble d'autant plus inexorable qu'elle réapparaît aussi sur une série de clichés de trente ans plus récents. Comme si, d'une décennie à l'autre, la ville photographiée par Goldblatt n'avait fait que parcourir un chemin circulaire.
habitants d'une zone ou de l'autre, David Goldblatt a tranché : depuis une dizaine d'années, il tourne son objectif vers ceux qu'il appelle les "ex-offenders", les anciens délinquants sortis des prisons de TJ. "Je voulais aller au delà des statistiques et rencontrer certains de ces 'criminels' en personne. Je voulais faire leurs portraits et leur demander : qui êtes vous, qu’est-ce qui vous pique, qu’avez-vous fait, comment en êtes-vous arrivés là, que pensez-vous de ce que vous avez fait, qu'allez vous devenir maintenant ?" A nouveau, le noir et blanc. Chaque sujet pose dans un lieu signifiant, celui où il a commis son crime ou celui où il a été arrêté. Sous chaque cliché, en une dizaine de lignes, Goldblatt lui donne la parole : "Est-ce que vous pourriez s'il-vous-plaît me donner votre porte-monnaie et votre téléphone afin que je ne vous fasse jamais de mal ? Ouais je disais s'il-vous-plaît, raconte Errol Seboledisho, ouais, je demandais si gentiment parce que... j'étais gentil et j'allais à l'église." Être né du "bon" côté, ou pas. Puis les conditions de vie, l'antagonisme profond dans les perspectives qui leur sont offertes, qui dirigent les individus auxquels le photo-reporter s'intéresse vers de plus ou moins bonnes voies.
