
UN BARBECUE EN PLEIN SALON. Triangulaire, sa fonte noire repose avec aplomb sur le tapis rouge au sol. Entouré d'une cour de sièges dépareillés - un fauteuil de fibre de verre jaune, une chaise-longue tissée de corde et son repose-pied assorti - il trône au milieu avec insouciance. Avec son acolyte, une lampe de jardin svelte coiffée d'un lampion translucide, dessiné par Hawk House, invite à laisser au vestiaire une vision classique de l'habitat. Grâce aux conditions climatiques de la région, les habitants de Californie profitent plus longuement de leur extérieur. Le barbecue d'intérieur n'est donc pas une hérésie mais l'affirmation d’une volonté de brouiller les frontières, d'intégrer le dehors à l'espace de la maison. Cette reconfiguration spatiale et mentale n'est pas née en Californie puisque les architectes du groupe De Stilj, à l'instar de Gerrit Rietveld, expérimentaient déjà avec des fenêtres sans rideaux ou des murs amovibles l'économie des séparations et de larges ouvertures pour expérimenter la transparence de l'espace et, avec lui, l'aisance du mode de vie. Mais ce sont bien les architectes californiens qui ont poussé à son paroxysme cette approche révolutionnaire. Un cliché montre par exemple une maison pensée par Pierre Koenig où la voiture garée devant le porche s'aperçoit au travers des murs de verre depuis la table de la cuisine, signalant la nouvelle centralité de l'automobile dans la vie des Californiens d'après-guerre. L'ameublement californien reflète le désir d'espaces non-discriminés par la double fonction, intérieure comme extérieure, de nombreux objets, ou encore par l'introduction d'écrans de séparation stylisés. La fluidité des pièces, l'intégration de la végétation ou du relief local, de longues baies vitrées, deviennent les signes emblématiques de la maison californienne, d'un mode de vie détendu, ouvert et surtout avide d'expériences inédites.
toute distinction entre le paysage et le jardin de détente. Cela explique également la diversité des tendances regroupées sous la bannière du modernisme californien qui se veut le plus démocratique possible. Ainsi, le célèbre créateur de jouets Charles Eames décrit l'objectif de son design comme celui de "fournir le meilleur au plus grand nombre pour le plus petit prix". Bien que cet adage n'ait pas toujours pu être respecté, la popularité du design réalisé en Californie repose en grande partie sur l'effort de l'adapter non seulement au portefeuille des ménages moyens mais également à leurs attentes.
LES PROMESSES D'ELDORADO n'attisaient pas seulement l'imaginaire collectif américain. Nombreux sont les migrants venus d'Europe, d'Amérique latine ou encore d'Asie, dont les diverses influences traversent le design californien. Les Européens sont d'ailleurs ceux qui importent le modernisme en Californie dans les années 1920, à l'image de Greta Magnusson Grossman, arrivée avec son mari en 1940, dont les travaux ont largement influencé les artistes locaux. Architecte d'intérieur, dessinatrice de meubles et conceptrice de bâtiments avant-gardistes, la Suédoise a su attirer l'attention des stars hollywoodiennes et s'assurer la faveur des compagnies de meubles. La lampe conçue en 1949 pour les frères Barker est restée célèbre. A l'époque, l’emploi de bras flexibles et surtout d’un abat-jour en forme de projectile était rare, voire sensationnel. Les meubles de Greta se distinguent par le choix éclectique des matériaux et leurs lignes asymétriques comme l'illustre l’élégance déséquilibrée du bureau élaboré en 1952 : tandis qu'à droite se croisent délicatement le fer forgé avec le bois de noyer pour former les pieds, s'impose à gauche un tiroir massif, recouvert d'un formica noir qui vient également s'étendre sur le plateau.
Sur le bol de Gertrud Natzler, 1943, là où le bleu turquoise rencontre le beige du fond, des aspérités irrégulières éveillent l'envie du visiteur d'effleurer du doigts ces crevasses presque naturelles. Aléatoire, l'entremêlement des couleurs forme une fascinante dentelle d'âpreté.


