L`Intermède
XVIIIe siècle : le passé au présent
Du XVIIIe siècle en Europe, quelle image avons-nous ? Celle d'une époque divisée entre divertissements somptueux pour les plus fortunés et débats passionnés parmi les philosophes des Lumières avant que n'éclate, au crépuscule du siècle, la Révolution. Pourtant, dès le début des années 1700, un autre renversement est en marche : la redécouverte de l'Antiquité dans le domaine des arts, entraînant ferveurs et adhésions exposition, l`antiquité rêvée, musée du louvre, louvre, peinture, sculpture, peintures, Antiquité, Philippe von Stosch, Edme de Bouchardon, bustes, marbre, néoclassicisme, Diderot, Caylus, Winckelmannd'une part, rejets et résistances de l'autre. Jusqu'au 14 février, à travers plus de cent cinquante oeuvres majeures, le musée du Louvre conte comment, entre 1730 et 1790, la peinture et la sculpture, mais aussi l'architecture et l'artisanat, n'ont cessé, paradoxalement, de se renouveler en revenant à l'art antique, pour le recréer ou le conjurer. Rappelant, une fois de plus, que la naissance d'une modernité passe toujours par un travail sur l'ancien.

Fier et solennel, une toge retenue par une fibule sur l'épaule gauche, Philippe von Stosch fixe de ses yeux vides l'horizon. Le buste de marbre blanc (réalisé en 1727), fruit de l'un des plus célèbres artistes du XVIIIe siècle, Edme de Bouchardon (1698-1762), catalyse l'engouement pour l'Antiquité qui saisit le siècle dès ses débuts, et qu'on nommera bientôt "néoclassicisme". Le choix du buste est un moyen de se représenter à l'antique, tout en assurant un parallèle implicite avec un modèle artistique et intellectuel existant, les grands hommes de l'Antiquité, représentés eux aussi autrefois sous forme de bustes et dans les mêmes poses. Ce goût pour l'Antiquité va peu à peu s'imposer sous l'impulsion de cercles intellectuels et d'académies, à travers des noms comme ceux de Diderot (1713-1784), Caylus (1692-1765) et surtout celui du grand archéologue et historien Winckelmann (1717-1768), auteur des Réflexions sur l'imitation des oeuvres des Grecs en peinture et en sculpture (1755), ouvrage promis rapidement à un immense retentissement. L'auteur y expose une recherche scientifique et documentée où il affirme la beauté de l'art simple et idéal des Grecs, en opposition au goût rocaille, ce style ornemental en vogue sous Louis XV qui use et abuse des lignes contournées et semble alors régner sur le continent européen.

exposition, l`antiquité rêvée, musée du louvre, louvre, peinture, sculpture, peintures, Antiquité, Philippe von Stosch, Edme de Bouchardon, bustes, marbre, néoclassicisme, Diderot, Caylus, WinckelmannCette passion pour l'antique n'épargne aucun domaine artistique. Témoin, la multitude de statues de marbre blanc reprenant lignes fluides et pures, à l'instar du Mercure attachant ses talonnières, présenté en 1744 par Pigalle (1714-1785), dont les traits rappellent la beauté idéale des dieux de l’Olympe, ou encore la Psyché abandonnée (1795, huile sur toile) de David (1748-1825) qui montre une jeune femme au visage harmonieux malgré ses larmes qui coulent, et où la nature idéale est parfaitement suggérée par l'aspect inachevé du tableau grâce à une technique de frottis. L'architecture, avec pour figure de proue l'architecte, dessinateur et graveur Piranèse (1720-1778), montre également l'étude attentive des témoignages laissés par les  constructions antiques, et se réalise à travers de nombreux projets de prisons, de bâtiments militaires ou de monuments aux grands hommes où l'on reconnaît la solennité des Anciens - comme pour le Projet pour un fort (lavis) d'Etienne Louis Boullée (1728-1799), à l'architecture imposante, un immense bouclier d'Achille venant fermer la porte centrale. La multitude de projets d'intérieurs en est un autre exemple, telle cette Élévation du mur de la salle à manger de Kedleston Hall (1762, dessin), réalisée par Robert Adam (1728-1792), où la disposition de l'argenterie n'est pas sans rappeler celle d'un autel grec pour un sacrifice. Et cette passion pour l'antique ne se limite pas au domaine des beaux-arts : l'artisanat est lui aussi conquis par cette vague du renouveau par l'ancien, ce dont témoignent tables, consoles et chaises, tel ce Fauteuil à l'étrusque (1787), meuble en acajou réalisé par Georges Jacob (1739-1814) pour la laiterie de Marie-Antoinette dans le domaine de Rambouillet. L'objet témoigne d'un souci archéologique, illustré par la reprise de motifs anciens (imitation de la forme en X du siège curule, motif de croisillons à l'antique et de palmettes ajourées).

Mais l'engouement n'est pas unanime, et des voix dissonantes se font bientôt entendre. Pour critiquer les excès d'une passion tout d'abord, ce qu'illustrent avec humour des gravures de Benigno Bossi (1727-1792) inspirées d'Ennemond Petitot (1717-1801), le Jeune moine à la grecque (1771) ou bien la Sacerdotesse à la grecque (1771) où la rigueur archéologique fait place à une certaine fantaisie - une pyramide plus égyptienne que grecque vient ainsi habiller le moine - et où la surcharge et l'incongruité des objets antiques soulignent la dérision vis-à-vis de la passion qui anime certains artistes. Surtout, d'autres expressions artistiques s'affirment avec autant de force que le néoclassicisme régnant : les lignes sinueuses et les drapés flottants du baroque exposition, l`antiquité rêvée, musée du louvre, louvre, peinture, sculpture, peintures, Antiquité, Philippe von Stosch, Edme de Bouchardon, bustes, marbre, néoclassicisme, Diderot, Caylus, Winckelmanncontinuent de vivre à travers de nombreuses œuvres néobaroques, telle la statue de Neptune (1767, marbre) réalisée par Pajou (1730-1809), qui fait bouillonner aux vents des océans la draperie entourant le dieu au corps animé d'une vive torsion. Le néomaniérisme prolonge le maniérisme italien, comme dans l'Achille confié au centaure Chiron (1760, huile sur toile) de Pompeo Batoni, où le respect scrupuleux de l'art antique s'efface au profit de l'adoption de lignes serpentines et de coloris clairs, inspirés de la maniera italienne du XVIe siècle, dont Raphaël, le Parmesan ou le Corrège sont parmi les représentants les plus illustres.

Mais c'est surtout le sublime, inspiré des théories d'Edmund Burke (1729-1797) exposées entre autres dans la Recherche philosophique sur l'origine de nos idées du sublime et du beau (1757), où l'écrivain britannique affirme que l'étonnement est l'effet du sublime dans son plus haut degré, qui s'établit avec force contre le néoclassicisme. L'harmonie, l'équilibre et la pureté des lignes sont sacrifiés à la puissance et à l'émotion : preuve en est le Titan foudroyé (1786, marbre) de Thomas Banks (1735-1805), qui représente l'un des géants précipités par Jupiter alors qu'il tentait d’atteindre l'Olympe, écrasé entre deux immenses rochers, tandis que de minuscules chèvres et un satyre, destinés à rappeler la taille colossale du sujet principal, s'enfuient sur le bas relief de l'oeuvre. De la même façon le répertoire habituel de la mythologique grecque, dieux, déesses et héros, peut être délaissé pour des créatures du fantastique, du folklore traditionnel ou d'une littérature plus moderne - celle de Shakespeare (1564-1616), qu'illustre Le roi Lear pleurant sur le corps de Cordelia (1774, huile sur toile) de James Barry (1741-1806) ou de John Milton (1608-1674), à travers le Satan exhortant ses légions (1797, pierre noire et rehauts de blanc, sur papier chamois) de Thomas Lawrence (1769-1830) qui, dans une scène fortement théâtralisée, en représentant un Satan à la musculature impressionnante, les bras levés au bord d’un cratère en un geste d'invocation, reprend un épisode du Paradis perdu (1667) où le seigneur des ténèbres invoque ses légions de démons pour l'aider dans son combat contre le divin.

Alors, néoclassicisme contre sublime ou néobaroque ? exposition, l`antiquité rêvée, musée du louvre, louvre, peinture, sculpture, peintures, Antiquité, Philippe von Stosch, Edme de Bouchardon, bustes, marbre, néoclassicisme, Diderot, Caylus, WinckelmannMalgré des oppositions indéniables, un même mouvement de re-création vient néanmoins relier ces courants. De fait, chacun montre comment des artistes ont travaillé la matière du passé pour l'adapter à leur propre vision. Les puissants tableaux de Füssli (1741-1825), comme Satan et Ithuriel (encre) ou bien Othar sauvant Siritha du géant (encre) puisent ainsi dans les sources d'une mythologie celtique et biblique, animant ses sujets d'une force inspirée justement par les théories du sublime : le passé est revu à l'aune d'une conception philosophique propre au XVIIIe siècle. De la même façon, l'Antiquité que représente un David ou un Greuze (1725-1805), et plus particulièrement la peinture d'Histoire, ne dérive pas uniquement des peintures antiques dont la qualité parfois médiocre (la perspective, le volume ou le clair-obscur y étaient encore peu maîtrisés) a poussé les artistes à représenter le passé à partir d'autres références moins anciennes.

Les tableaux de Poussin (1594-1665), qui puisent leur inspiration dans l'Antiquité tout en montrant une rigueur plastique bien plus affirmée par rapport aux modèles, inspirent nombre d'artistes : ainsi, la disposition des sujets dans L'empereur Sévère reproche à Caracalla, son fils, d'avoir voulu l'assassiner (1769, huile sur toile) de Greuze reprend, en les inversant, celle des personnages du Testament d'Eudamidas (vers 1644, huile sur toile) de Poussin. L'Antiquité est passée au tamis du XVIIe siècle. Et la gracieuse statue de L'Amour se taillant un arc (réalisé entre 1747 et 1750, marbre), réalisée par Edme Bouchardon, dérive elle aussi d’un modèle ancien, L'amour bandant son arc de Lysippe, dont il existe une multitude de copies (le Louvre expose une réplique romaine datée du IVe siècle avant J.C.). Mais le sculpteur français sait allier à l'observation de l'art antique l'attention soignée envers le modèle vivant dont témoignent plusieurs feuilles à la sanguine, aboutissant à la création de sa composition originale : il s'agit donc d'allier l'étude de l'Antiquité et celle, trait plus moderne, de la nature, du vivant.
 
Claire Colin
Le 19/01/11

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L'Antiquité rêvée. Innovations et résistances au XVIIIe siècle
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jusqu'au 14 février 2011
Musée du Louvre
Hall Napoléon 
Tlj (sf mar)  9h - 18h
Nocturne mercredi et vendredi (22h)
Tarif plein : 11 €
Rens. : 01 40 20 53 17







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Vignette sur la page d'accueil : Jean-Honoré Fragonard, Corésus et Calirhoé, 1765, Paris, musée du Louvre, département des Peintures © 2003 Musée du Louvre / Angèle Dequier
Image 1 Hubert Robert, La découverte du Laocoon, 1773, Richmond, Virginia museum of fine arts © Richmond Virginia Museum of Fine Arts / Photo Katherine Wetzel.
Image 2 Pompeo Batoni, Achille confié au centaure Chiron, 1760, Parme, Galleria Nazionale © Soprintendenza BSAE di Parma e Piacenza.
Image 3 Thomas Banks, La chute d’un Titan, 1786, Londres, Royal Academy of Arts © Royal Academy of Arts, Londres.
Image 4 Thomas Lawrence, Satan et Belzébuth, Paris, musée du Louvre, département des Arts graphiques © 2007 Musée du Louvre / Martine Beck Coppola
Image 5 Etienne-Louis Boullée, Cénotaphe à Newton, Paris, Bibliothèque Nationale de France © Bibliothèque nationale de France