SITUÉ AUX NUMÉROS 45-46, Davis Street, dans le Queens à New York, le Five Pointz est depuis plusieurs années un point de repère incontournable pour les passionnés de Street Art. Créé en 1993 dans le cadre d’un programme appelé "Graffiti Terminators", cet espace d’exposition en plein air a été aménagé dans le but de promouvoir le travail des graffeurs tout en essayant de décourager le vandalisme urbain. A l’origine du projet : un mécène de Long Island qui a loué une surface de plus de 20 000 m2 aux professionnels et amateurs qui lui en faisaient la demande. Là où se trouvaient les locaux d’une usine désaffectée se dresse aujourd’hui ce que les habitants du quartier appellent, non sans fierté, "la Mecque du Graffiti". – Par Marion Duvernois
IMPOSSIBLE DE NE PAS REMARQUER le Five Pointz (ou 5 Pointz Aerosol Art Center) du haut de la ligne 7 du métro new-yorkais. Dès que l’on quitte Manhattan en direction du Queens, on aperçoit, parmi les innombrables constructions bétonnées de la banlieue, un patchwork monumental surprenant, parfaitement intégré au paysage postindustriel qui l’entoure. Si les touristes ne peuvent s’empêcher de le photographier, les autres voyageurs quant à eux n’attendent qu’une chose : qu’on leur pose des questions sur l’histoire de cet OVNI architectural. Bâti non loin du MoMa PS1 – l’un des musées d’art contemporain les plus importants des Etats-Unis –, ce complexe n’a, lui, rien d’institutionnel, puisqu’il est autogéré par ceux qui contribuent à en faire un haut lieu d’expérimentation indépendante. Entièrement recouverts de tags, fresques et autres portraits à la bombe, ses murs conservent la mémoire des jeunes qui se les sont appropriés, le temps de marquer le territoire. Autrement dit, de le voler à leurs prédécesseurs. C'est bien ici l'idée de l'art éphémère par excellence, d’autant plus lorsque son support ressemble à un palimpseste, une surface dont on a détourné la fonction principale et que l’on utilise désormais comme une toile géante mise à disposition de la collectivité.
– Trompe-l'oeil
TERRAIN PROPICE NON SEULEMENT à la création, mais aussi et surtout aux rencontres entre les différentes avant-gardes artistiques de la Grosse Pomme, le 5 Pointz demeure, aux yeux de ceux qui l’ont occupé pendant quelque temps, un espace de sociabilité où l’on peut comparer les styles de chacun et s’interroger ensemble sur les démarches les plus adaptées aux messages que l’on veut transmettre. C’est ce que remarque par exemple Davide Spinelli, étudiant de l’académie des Beaux-arts de Brera, après y avoir passé lui aussi plusieurs semaines dans le but de réaliser, entre autres, un portail décoré comme s’il s’agissait de l’entrée principale de la maison Horta, mais où les formes semblent avoir été arrêtées juste avant de devenir figuratives.
CE PASSAGE EN TROMPE-L'OEIL s’ajoute à d’autres ouvertures réelles ou peintes, et contribue à fragmenter le champ visuel ; gardé par des personnages à peine esquissés, il suggère l’existence d’un au-delà colorié et fantaisiste, donc complètement étranger à la désolation environnante. A cet égard, s’il est vrai que l’entreprise de Davide vise à revendiquer une certaine identité formelle, elle cherche également à s’inscrire dans une sorte de mouvance politique : réinventer le caractère du site, non pas pour en trahir le vécu, mais pour l’appréhender sous une lumière nouvelle. Un objectif des plus urgents, compte tenu du fait que pour la quatrième fois depuis sa fondation le 5 Pointz risque d’être démoli et remplacé par deux grands blocs aussi ternes que les édifices alentour.
– Bras de fer
CERTES, LA VILLE SOUHAITE par-là offrir des centaines de nouveaux logements sociaux. Cela dit, les résidents du Queens craignent non seulement que ces logements ne soient pas à la hauteur des attentes, mais surtout que la disparition du 5 Pointz entraîne celle de la vie culturelle du quartier et du tourisme qui en dépend. Car le 5 Pointz a toujours fait office de petit moteur économique pour les agences immobilières et commerces situés à proximité. Et parce qu'il a servi à plusieurs reprises de décor pour des films d’action, notamment Now you see me de Louis Leterrier dont les séquences finales se déroulent en grande partie sur le toit du bâtiment, il a permis le développement d’une industrie cinématographique locale et inspiré un grand nombre de réalisateurs du monde entier.
AU-DELÀ DES HABITUÉS DU 5 POINTZ, c'est toute une communauté vaste et hétérogène qui s’est rassemblée autour d’une pétition afin de sensibiliser l’opinion publique nationale et étrangère et dont les signatures permettront de contrer ou, du moins, de ralentir le projet présenté en août dernier par la New York City Planning Commission. Difficile de connaître l'issue de ce bras de fer, étant donné que la démolition avait déjà échoué précédemment en raison d’une très forte mobilisation. Quoi qu’il arrive, une chose est certaine : dans le domaine du Street Art, cette expérience aura été si intense et fédératrice qu’il sera impossible de ne pas la mentionner dans les livres spécialisés tout comme dans les catalogues consacrés à l’œuvre des artistes qui en gardent un souvenir personnel.
autres voyageurs quant à eux n’attendent qu’une chose : qu’on leur pose des questions sur l’histoire de cet OVNI architectural. Bâti non loin du MoMa PS1 – l’un des musées d’art contemporain les plus importants des Etats-Unis –, ce complexe n’a, lui, rien d’institutionnel, puisqu’il est autogéré par ceux qui contribuent à en faire un haut lieu d’expérimentation indépendante. Entièrement recouverts de tags, fresques et autres portraits à la bombe, ses murs conservent la mémoire des jeunes qui se les sont appropriés, le temps de marquer le territoire. Autrement dit, de le voler à leurs prédécesseurs. C'est bien ici l'idée de l'art éphémère par excellence, d’autant plus lorsque son support ressemble à un palimpseste, une surface dont on a détourné la fonction principale et que l’on utilise désormais comme une toile géante mise à disposition de la collectivité.
de mouvance politique : réinventer le caractère du site, non pas pour en trahir le vécu, mais pour l’appréhender sous une lumière nouvelle. Un objectif des plus urgents, compte tenu du fait que pour la quatrième fois depuis sa fondation le 5 Pointz risque d’être démoli et remplacé par deux grands blocs aussi ternes que les édifices alentour.
déjà échoué précédemment en raison d’une très forte mobilisation. Quoi qu’il arrive, une chose est certaine : dans le domaine du Street Art, cette expérience aura été si intense et fédératrice qu’il sera impossible de ne pas la mentionner dans les livres spécialisés tout comme dans les catalogues consacrés à l’œuvre des artistes qui en gardent un souvenir personnel. 
