Après le festival Montpellier danse, et en passage au Théâtre de la ville à Paris, Pavlova 3'23'' est une création pour neuf danseurs dans laquelle Mathilde Monnier explore la question de la fin du geste et, par extension, de la mort, s'appuyant sur la figure spectrale et emblématique de la danseuse Anna Pavlova dans La Mort du Cygne. Improvisé sur l'idée qu'un mouvement ne veut pas mourir, ce solo chorégraphié en 1907 par Michel Fokine est novateur dans l'Histoire du ballet classique. La danseuse, vêtue de noir, se meut interminablement comme un oiseau qui ne veut pas atterrir, au gré de la musique du Carnaval des animaux de Saint Saëns. Mathilde Monnier s'inspire de cette légende pour questionner la discontinuité en danse : comment situer la fin d'un geste, de la représentation ?
Nommée directrice du Centre Chorégraphique National de Montpellier Languedoc-Roussillon en 1994, la danseuse et chorégraphe française Mathilde Monnier déjoue le spectaculaire pour explorer l'action dansée et mettre en scène l'expérimentation. Formée par Viola Farber, de la compagnie Merce Cunningham, elle reçoit le prix du Ministère de la Culture au Concours de Bagnolet en 1986, en collaboration avec François Verret. Ses duos
Pudiques acides et
Extasis avec Jean François Duroure marquent la mémoire de ses contemporains, tant pour leur frénésie que leur virtuosité technique. Dans un registre tout aussi burlesque, Mathilde Monnier se met en scène à Montpellier Danse 08, dans
Gustavia, avec la performeuse plasticienne La Ribot. Ses dernières créations,
Tempo 76,
Déroutes, ou encore
Publique sont empreintes d'une esthétique et d'une réflexion communes : le rapport aux objets et le support musical, littéraire, ou encore cinématographique, semblent être des points essentiels de son oeuvre. Autre signature : son approche du geste dansé, distancié, dérisoire et déguisé. Dans
Pavlova 3'23'', elle met justement à mal la chute de ce geste.
Comment représenter le point final d'une représentation? Comment, par enchâssement, mettre en scène ce qui est déjà par nature, à la fois périssable et impérissable : le geste de la finitude? C'est ainsi dans l'immobilité que cette création s'ouvre. Alors que résonne une sonnerie qui rythmera la pièce comme un leitmotiv, les neuf danseurs, alignés au lointain, fixent le public. Le temps de la représentation commence, mais la danse se fait attendre. D'entrée de jeu, Mathilde Monnier brouille la notion du départ, tout comme elle trouble la sensation de fin. L'idée d'un commencement par une action mobile ou d'une fin par l'arrêt est remise en cause. Mais sans donner le temps de s'installer dans l'arrêt, les danseurs entrent dans le terra
in d'action de la scène. D'un geste ralenti, minimaliste, comme éphémère, ils se répartissent dans l'espace jusqu'à leur prochaine chute et le retour à l'arrêt total du mouvement des corps, étalés au sol. Image de carnages, d'une fin de bataille, l'absence de geste ne crée toutefois pas l'immobilité, tant la suspension du temps qu'elle amène est en gestation, tant une action nouvelle annule la précédente.
Sans début, sans fin,
Pavlova 3'23'' s'acharne à représenter l'inscription de la danse dans un temps qui n'est jamais clôt. La mise en scène d'actions référentielles devient ainsi un moyen de multiplier des images de mort et de naissance. Un danseur convulse comme s'il recevait des balles dans le torse. Deux autres esquissent à peine une étreinte. Des expressions de visages horrifiés, agonisants, morbides. Des cris muets. Un danseur qui pointe son arme vers un autre. La bande-son, créée par Olivier Renouf, entre plages de silence, sons électroniques, cordes grinçantes et chanson, colore la pièce d'un ton sombre. Si la théâtralité des actions donne à voir, de manière anecdotique, une certaine image de la mort, sa signification semble sans cesse déjouée. Comme si Mathilde Monnier voulait que le sens échappe aux actions alors même qu'elles signifient, rien ne semble aboutir. Tout en ébauche, en bribe d'image, à peine le temps de goûter à une histoire que déjà elle n'est plus.
Là comme décor, ou accessoire vain, chaque objet devient source d'inspiration : un crâne humain sur scène donne à voir une peinture de Vanité ; un squelette rappelle la mort qui rôde ; une bougie, une coupe, un parapluie, un bidon d'essence, une couronne de plume, un tabouret, un sifflet, un fémur, un pistolet, un miroir… passent furtivement entre les mains des danseurs, pour finir étalés dans les coulisses apparentes, sur une table, soit à cour, soit à jardin, rien que pour orner cette sorte de grand tableau de Vanité d'arrière plan. Les danseurs les prennent et les posent en quantité durant toute la pièce, sans que leur utilité n'apparaisse. Ils sont cependant une marque de durée : même s'ils apparaissent ou
disparaissent insatiablement, les objets ne connaissent ni début ni fin, et deviennent seuls porteurs de continuité.
La danse, aussi, semble s'inscrire dans ce désir d'arrêter le temps, ou de vivre hors de celui-ci. Semblables à des objets, les danseurs se manipulent les uns les autres. Deux d'entre eux déplacent, déposent, portent, traînent un troisième corps immobile. Et, progressivement, la danse toute entière n'a vocation, au même titre que ces figurines, qu'à dessiner la finitude, supporter la vanité, incarner l'inutilité. La gestuelle des danseurs semble ne jamais s'installer dans une forme figée. Des corps déstructurés, simplement là, fragmentés par un squelette qui les meut, articulent un genou, une omoplate, une vertèbre sans coordination ou lien évident. Le poids des os se substitue à un mouvement musculaire. Et s'il y a tension, elle se situe dans les torsions interminables, les rotations internes et externes, et les noeuds d'oppositions dans le corps. Du geste déstructuré, asymétrique, comme quelque chose de vain, de la symétrie ou de la verticalité inaccessible, et ceci, sans être l'expression théâtrale d'une lutte, le corps se meut humblement.
L'écriture chorégraphique de
Pavlova 3'23'' semble le fruit d'une recherche en improvisation, et de nombreuses propositions de la part des danseurs. Si la gestuelle du squelette est omniprésente dans les solos, il y a aussi des instants de convulsions, de tremblements, de mouvements de bras qui ondulent comme dans
La Mort du Cygne, mais aussi des ralentis de corps, des morphing… qui donnent à voir la finitude sous toutes ses facettes. Oscillant entre tous ces états, la danse est en éternel changement, figure toujours de nouveaux visages, se travestit sans fin. Face à l'achèvement du geste en suspension, multiplier les pas.
Cecilia Bengolea, Julia Cima, Yoann Demichelis, Julien Gallée-Ferré, Corinne Garcia, Thiago Granato, Olivier Normand, I-Fang Lin, Rachid Sayet
7 mars 2010 : PACT zollverein . choreographisches zentrum NRW . Essen (Allemagne)
17 avril 2010 : Springdance Festival. Utrecht (Pays-Bas)
22-23 avril 2010 : Festival Bipod . Beyrouth (Liban)
25 avril 2010 : Damascus Contemporary Dance Platform. Damas (Syrie)
27 avril 2010 : Amman Contemporary Dance Festival. Amman (Jordanie)
1er mai 2010 : Ramallah Contemporary Dance Festival. Ramallah (Palestine)
2-4 juin 2010 : Tnb. Rennes
15-16 septembre 2010 : Comédie de Genève. Festival la bâtie. Genève (Suisse)