L`Intermède
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PRESENTE EN AVANT-PREMIERE au festival Image+Nation de Montréal et au festival Tribeca à New York, Yossi, le nouveau film d'Eytan Fox sortira bientôt sur les écrans français. Une suite qui vient dix ans après Yossi and Jager et qui soulève de nouvelles questions tout en conservant les thèmes chers au réalisateur Israélien.


Par Julien Walterscheid-Finlay


IL S'EST PASSE UNE DECENNIE depuis la mort au combat de Lior, surnommé Jagger, dans les bras de son amant et commandant Yossi. "Ani ohev otcha" ("je t'aime") lui avait-il dit sous les yeux de ses autres officiers. Eytan Fox prend le parti de raconter ce qui se passe au-delà de la mort et de l'amour, en ouvrant le film sur un jeune médecin en surpoids aux journées rythmées par une lassante routine dont l'image change radicalement de celle du féroce soldat au coeur sensible que le spectateur avait conservée. Yossi (Ohad Knoller, d'une grande justesse) car il s'agit de lui, n'a plus la force de vivre et sa vie est envahie par le vide, qui le ronge à petit feu. Piètre cardiologue, antisocial et mal dans sa peau, on comprend qu'il est, lui aussi, mort au combat cette nuit-là.

Bloqué dans le passé

FAIBLE PICTURALEMENT et au scénario imparfait, le premier opus, qui révéla Eytan Fox et le fit réalisateur culte du cinéma gay et lesbien, mettait en scène la difficile question des amours homosexuelles dans l'armée israélienne. Ce nouveau film élève la réflexion en sortant des clichés sentimentaux. Cette suite, qui vient après Walk on water (2004) et The Bubble (2006), globalement salués par la critique, est un moyen pour le réalisateur de proposer à la fois un bilan et une mise à jour. Les temps ont changé et il le montre en faisant de son personnage un baromètre temporel, bloqué dans le passé et cloîtré chez lui, ne connaissant rien aux musiques actuelles, ayant une sexualité numérique et virtuelle ou mentant encore sur son identité. Témoins, cette photo vieille de trois ans qu'il utilise sur un site de rencontres ou sa collègue qui le drague en vain. Vivant hors du temps, il ne doit son salut qu'à l'apparition d'un fantôme salvateur, la mère de Jagger, qui déclenche en lui un électrochoc. Il s'engouffre alors dans sa voiture et remonte le temps, revient à la réalité et ose se montrer au grand jour.
 
Mémoire déstructurée

DEPUIS LES ANNEES SOIXANTE, le cinéma israélien explore principalement les rapports entre la mémoire collective d'un pays (mémoire historique, politique) et la conscience individuelle, expérimentant une narration en puzzle, brisant continuellement la chronologie du récit. Le personnage principal est ainsi le lieu de cette élaboration, c'est sa conscience que le récit explore et qui devient, en quelque sorte, la voix d'un peuple. Dans Yossi, le spectateur est amené à effectuer un travail de reconstitution de l'histoire et de son sens alors que passé, présent, réalité et souvenir s'entremêlent dans une structure fragmentée, toujours en dialogue avec ce qui fut et ce qui aurait pu être. Yossi est un homosexuel du temps jadis. Sa rencontre avec de jeunes soldats conscrits lui fait prendre conscience des mutations de la société auxquelles il a échappé et il se laisse aller aux envoûtantes notes de Keren Ann qui a composé la plupart des musiques du film, dont "Ne parle pas plus de l'amour". Commandement respecté par Eytan Fox qui ne signe pas ici une comédie romantique mais un drame contemporain, dévoilant les bouleversements de la vie moderne qui se mélangent difficilement avec les réalités passées.

Embrasser le futur

PAS DE SENTIMENTALISME ici. Tout passe en effet par les regards échangés, les non-dits qui dévoilent le malaise d'un homme en souffrance avec pudeur et délicatesse. Apprendre à se (re)construire malgré les ruines, continuer à vivre parmi les morts, savoir poursuivre alors que tout s'arrête. Il ne s'agit plus de parler d'amour interdit mais d'amour impossible, ce ne sont plus les regards qui proscrivent toute relation, mais leur absence. Préoccupation majeure du réalisateur, la vie homosexuelle en Israël est ici montrée chronologiquement. Les problèmes identitaires ne sont plus les mêmes et les transformations de la société sont décrits avec talent. Il ne s'agit plus de se cacher, mais de s'accepter et vivre à ciel ouvert. Comme cette chemise portée par Yossi et boutonnée jusqu'au col, qu'il finira par entrouvrir puis enlever. "Est-ce que je peux t'embrasser ?" lui sera-t-il demandé à la fin. La réponse se fait attendre, hésitante et suspendue. C'est justement dans cette attente, dans cette tension dans le vide que se résume l'œuvre. Il ne s'agit pas de baisers, mais de paroles.


J. W.-F.
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à , le

Yossi
Drame israélien d'Eytan Fox
Avec Ohad Knoller, Lior Ashkenazi, Orly Silbersatz Banai...
1h23min
Sortie le 2 janvier 2013



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