Tolkien Un film de Dome Karukoski Sortie le 19 juin 2019
– En deux mots
Dome Karukoski, le réalisateur, l’a bien compris : Tolkien est un géant. D’abord un géant de la contre-culture européenne, et depuis ses adaptations filmiques, un géant de la culture mondiale. Alors par quelle face aborder cette montagne ? Par quelle face la contourner ? Là était la difficulté de l’exercice. Et force est de reconnaître que le réalisateur s’en est brillamment sorti, en revenant aux débuts de Tolkien, quand il n’était pas encore ce qu’il est devenu.
John Ronald Reuel Tolkien a passé l’essentiel de sa vie comme professeur de langues anciennes à Oxford. Il en maîtrisait à lui seul une vingtaine. S’il n’aimait guère le français, sa préférence est rapidement allée au finnois dont il s’est d’ailleurs inspiré pour donner chair à la langue la plus élaborée qu’il ait créée : le quenya. Mais surtout, Tolkien a créé un univers original qui a révolutionné le récit allégorique et merveilleux. Il en a fait un genre nouveau : la fantasy, part importante de l’industrie littéraire moderne. Il a ressuscité les vieux folklores germaniques, gaéliques et finnois, et les a synthétisés de manière à ce que les générations après lui puissent créer à nouveau leurs légendes, leurs allégories. A l’instar de Georges Dumézil, son alter ego français, il a mené une réflexion de fond sur les racines de notre civilisation européenne, tout en rappelant les beautés de la nature et les ravages de l’industrie… et ceci avec seulement trois ouvrages : Le Hobbit, Le Seigneur des Anneaux et le Silmarillon.
Cette montagne qu’est l’œuvre de Tolkien, et qui occulte complètement sa vie d’auteur, ne pouvait donc pas être escaladée de front. Surtout si l’ambition de ce biopic était de faire comprendre cet immense auteur à un public de profanes – qui n’ira probablement jamais lire les essais de linguistique ou de théologie elfique, les multiples versions de la sublime Geste des Enfants de Húrin ou de La Chute de Gondolin, dont une version définitive vient d’être éditée en français. Le versant choisi par le réalisateur finlandais a donc été le plus récemment mis au jour : la jeunesse de Tolkien et en particulier la Grande Guerre, où il perdit la plupart de ses amis d’adolescence. Mais ce chemin permet d’aborder d’autres thèmes, dont la « Der des Der » n’est que l’horizon dramatique.
Dome Karukoski nous parle un langage que tout lecteur ayant grandi avec Tolkien comprendra, et qui pourra l’émouvoir aux larmes tant il est loin des imprécations modernes : au lieu de la pauvreté, la simplicité ; au lieu de l’intérêt, l’amitié ; au lieu de la victimisation, la décence et la pudeur ; au lieu des boucliers humains, le sacrifice de soi.
Et la grande victoire du réalisateur finlandais est d’avoir réussi à parler de littérature ancienne dans un film en 2019. Il nous donne fugitivement accès au pouvoir et à la magie des mots et des rythmes qui venaient du Moyen-Âge et d’avant. Et il nous rappelle que cette littérature, aussi protégée qu’interdite par son ancienneté, garde la qualité sans pareille d’embellir le monde et même, un peu, de vaincre la mort.