L`Intermède
Le choix de la rédaction de L`Intermède

Orlando
Odéon - Théâtre de l'Europe, Paris
Jusqu'au 29 septembre 2019



En deux mots
 
Il faut du temps, une fois les lumières éteintes, pour que le spectateur reprenne souffle et esprits. Au fil de ce spectacle où Katie Mitchell met en scène le célèbre roman de Virginia Woolf, on suit Orlando dans une course folle, condensée dans les deux petites heures que nous passons en sa compagnie. Physiquement présent sur les planches, il apparaît aussi sur un écran qui diffuse des images tantôt en direct, tantôt prises hors scène – des images qui nous permettent de suivre les tribulations du personnage à travers les époques, du XVIe au XXe siècle, et à travers plusieurs lieux emblématiques : forêts britanniques, châteaux, voyages en Orient… theatre, orlando, virginia woolf, katie mitchell, odeon, genres, feminisme, cinemaAbolissant toute segmentation temporelle, la mise en scène nous montre même le héros au volant d’une voiture de notre époque, amenant l’intrigue dans un temps qui dépasse de loin celui de l’auteur et de l’écriture du roman, achevé en 1928. Orlando, qui se présente d’abord comme un jeune courtisan, favori de la reine Élisabeth, multiplie les aventures amoureuses et sexuelles avec toutes les femmes qu’il rencontre, sur scène comme à l’écran, et apparaît donc comme un puissant séducteur, n’ayant pour seul talent que sa plume. Tout bascule au XVIIIe siècle lorsque, après un long sommeil, Orlando se réveille femme.
 
On entre alors dans la partie la plus intéressante du spectacle de Mitchell. Orlando devient le miroir déformé de son double masculin, pivot d’une réflexion sur les stéréotypes associés aux hommes et aux femmes, dont le questionnement interroge le genre humain. Qui sommes-nous ? Quelle est la part de genre qui occupe et fragmente notre être ? Virginia Woolf, déjà féministe, propose des scènes aussi bien réjouissantes que drolatiques. Mitchell a su s’en saisir pour proposer des portraits désopilants des figures masculines, réduites à des caricatures si peu crédibles qu’elles brisent  les clichés par l’absurde. Toute l’intelligence du texte prend alors forme. Les acteurs hommes jouent des femmes et inversement. Jenny König incarne les deux sexes dans un jeu aussi troublant que fascinant. La notion de genre devient trouble.
 
Alors qu’Orlando homme fustigeait la tromperie féminine au point de refuser tout engagement matrimonial, son pendant féminin, tout en rejetant elle aussi l’idée du couple, finit par expérimenter le mariage au début du XIXe siècle. C’est un échec cuisant, semblant encore une fois opposer l’être aux institutions et aux conventions qui le contraignent. Le spectacle multiplie les expériences humaines : celles qu’offrent les grands romans et qui se retrouvent ici au théâtre. Il laisse le spectateur étourdi devant les infinies possibilités qui s’ouvrent à son regard. Le spectacle est si riche que l’on gagnerait sans nul doute à le voir une seconde fois, déjà nourri de cette effervescence. 
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À Paris, le 26 septembre 2019



Orlando
de Virginia Woolf, mise en scène de Katie Mitchell
Odéon - Théâtre de l'Europe
Place de l'Odéon, Paris 6e
Jusqu'au 29 septembre 2019
Mar-sam 20h
Dim 15h

Tarifs : de 6 à 40 €
Rens. : 01 44 85 40 00

Crédits photo : Stephen Cummiskey

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