Conception et chorégraphie Béatrice Massin, TNBA, et en tournée
– En deux mots
Chorégraphe et spécialiste de la danse baroque, Béatrice Massin travaille depuis 30 ans avec sa compagnie Fêtes Galantes, dans le but de valoriser et transmettre le patrimoine chorégraphique français des XVIIe et XVIIIe siècles, tout en proposant des créations contemporaines résolument tournées vers le XXIe siècle. En passant par un processus d’appropriation du langage baroque, elle en amplifie les possibles jusqu’à produire des spectacles se situant à un point d’équilibre singulier entre créations d’hier et d’aujourd’hui.
C’est le cas de sa dernière création, qui a ouvert la saison au TNBA (Théâtre National de Bordeaux en Aquitaine) cette semaine, Requiem – la mort joyeuse. Beatrice Massin propose ici un spectacle pour douze danseurs et danseuses, reprenant les fondamentaux de la danse baroque : ports de bras aux poignets souples, pas pliés, élevés, glissés, tombés, tournés, sautés, venant s’ajouter au fameux transfert, le pas en avant, de côté, en arrière. Fondamentaux que Béatrice Massin s’approprie et reconstruit pour créer son propre langage chorégraphique, au son du Requiem de Mozart. Mais rien de funèbre ni de sinistre ici. Au contraire, le spectacle s’inspire de la vision joyeuse de la mort que la chorégraphe puise dans la civilisation précolombienne, où la mort est vue comme la liaison entre les mondes – lors du « Dia de los Muertos » –, dans un rapport festif et coloré.
Et dès le début le ton est donné, avec la multiplication sur scène de costumes chamarrés et parés de têtes de morts stylisées, certes aux tonalités automnales mais qui viennent soutenir une nouvelle vision du Requiem dont la musique est résolument lumineuse, incarnée, et que Beatrice Massin entend clairement éloigner de l’image macabre. Elle dénonce en effet l’idée selon laquelle le Requiem serait une œuvre sinistre et testamentaire : « Même si Mozart est épuisé et gravement malade au moment de l’écriture de cette partition qui restera inachevée à cause de sa mort, elle n’est pas sa dernière composition et il la délaisse volontairement ». Les fleurs et les couleurs contaminent peu à peu le plateau lorsque les danseurs vont, les uns après les autres, se draper de tissus fleuris qui amplifient les mouvements et l’effet de légèreté des sauts et portés tourbillonnants.
C’est l’enregistrement du Requiem dirigé par Teodor Currentzis qui a suscité chez Béatrice Massin l’envie de « fabriquer une fête des morts désacralisée ». À la partition inachevée de Mozart, elle ajoute un postlude : le Danzon n°2 du compositeur Arturo Marquez, mélange de musique populaire cubaine et mexicaine. Le lien entre les deux compositeurs fonctionne admirablement et Béatrice Massin ne craint pas l’oxymore, principe essentiel de la pensée baroque. Ce requiem païen plonge alors le spectateur dans un univers expressif, puissant et mouvant, où la mémoire de nos morts est convoquée, rejoignant progressivement le monde des vivants à l’image de la marée montante – projetée sur le mur du fond de scène et sur le plateau –, de ces vagues mouvantes, jusqu’à nous émerveiller, avant de nous être arrachées.
Dans cette chorégraphie du flux et du reflux – métaphore de la vie et de la mort –, du transfert et du déplacement, le spectateur voyage – jusqu’à avoir la sensation de voler au-dessus de cet océan projeté en mouvement – entre douceur, attente et dynamisme, où l’énergie vitale de l’océan viendrait laver nos âmes, dans une danse plus proche de l’hymne à la joie que de la danse macabre. Ainsi, entre apaisement et galvanisation, ralentissement et tempétuosité, nostalgie et gaieté, Requiem — la mort joyeuse nous ramène à une forme d’essentiel, la rencontre des corps, des formes et des couleurs.
Requiem - la mort joyeuse, Conception et chorégraphie Béatrice Massin, Assistée de Maud Pizon et Wu Zheng, Théâtre National de Bordeaux Aquitaine, En tournée
Le 30 novembre aux Quinconces, Scène nationale du Mans
Le 19 janvier 2024 au Théâtre Louis Aragon, Tremblay en France