choix de la rédaction cécité malaga

Cécité Malaga

Benjamin Lacombe
Albin Michel Jeunesse

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En deux mots

Avec Cécité Malaga, Benjamin Lacombe nous livre un conte inspiré d’un événement traumatique qu’il a lui-même vécu. Comme son héroïne, l’auteur-illustrateur fut privé temporairement de la vue à la suite d’un choc. Son dernier album retrace le parcours d’une artiste prodige, jeune funambule aveugle qui triomphe chaque soir du vide et de l’obscurité sous les yeux ébahis d’un public toujours plus nombreux. Benjamin Lacombe nous invite alors à nous questionner sur la fonction de l’art, au secours de l’artiste. Comment exister lorsque l’art de l’illustration a le besoin vital de ce sens ? L’angoisse terrible paralysant l’artiste peut-elle trouver sa résilience dans l’art lui-même ?

L’album commence par des tons sépia et noir et blanc illustrant l’obscurité qui enveloppe Cécité. La mise en page s’appuie sur un usage esthétique et narratif du calque. Le texte blanc sur fond noir est séparé de son illustration par une page noire que le lecteur doit tourner pour découvrir l’image, lui soustrayant ainsi la vision immédiate de l’image. Dès ces premières pages, le lecteur plonge dans une expérience sensorielle : des vernis posés avec parcimonie nous invitent à toucher et ressentir sans voir.

Le jeu de zones sombres et les dévoilements donnent à voir le trouble dans lequel vit Cécité. Le crissement de la corde, les respirations et les souffles suspendus du public se font entendre. Mais à la suite d’une chute de l’héroïne, elle recouvre la vue et renoue avec son passé : la lumière se fait et les couleurs renaissent. En se remémorant l’accident qui l’a laissée aveugle, Cécité recouvre la vue et le goût de vivre.

L’intérêt de l’album est la possibilité d’une lecture à rebours. Car c’est à la fin que le lecteur apprend le traumatisme de Benjamin Lacombe et la façon dont l’art lui a permis de transcender l’épreuve. On comprend alors que les thèmes picturaux choisis soutiennent l’implicite du conte : le papillon, symbolisant la métamorphose et le caractère éphémère de la vie, le motif floral de la pensée, où Cécité y est enfouie, ne laissant voir que ses yeux grands ouverts au retour des images perdues de sa mémoire. Comme pour les pensées et les souvenirs, ce conte est une histoire à rebours, qui se lit à la lumière du présent. L’album propose donc à la fois une réflexion sensible sur les sens et sur la puissance des souvenirs.

On retrouve divers héritages artistiques dans l’album de Benjamin Lacombe. Celui-ci s’inspire notamment de Guillermo del Toro, de Léonard de Vinci, des peintres primitifs flamands ou encore de Mark Ryden, chef de file des surréalistes américains. En effet, les premières illustrations de Cécité Malaga rappellent les photographies des années 30. Les perles ceignant le visage de la jeune fille lui confèrent cet air mystérieux et clinquant des danseuses de cabaret malgré ses yeux voilés. Cécité Malaga est représentée sous la forme d’un papillon de nuit ou une libellule, rappelant ces insectes éphémères bravant l’obscurité et la mort chaque nuit.

La dimension envoutante et onirique de l’album tient également au fait que l’éveil de Cécité s’inscrit dans une sorte de lignée du surréalisme. En effet, l’explosion des couleurs et le glissement progressif vers l’illustration du psychisme de Cécité rappellent les œuvres de Magritte, comme Le Miroir Faux, notamment lorsqu’une des pages de l’album donne à voir Cécité, prête à plonger dans son œil en noir et blanc. D’une page à l’autre, l’œil semble progressivement minéral, perd sa pupille ou se transforme en œuf. Benjamin Lacombe explore dans ses œuvres les questions de la différence et de la défaillance. Ses personnages, souvent difformes ou marginaux, évoluent dans un monde exposé au voyeurisme et au jugement. Mais ses œuvres sont des espaces de résilience, en quête de « la beauté de l’étrange » (Benjamin Lacombe, entretien avec Johanna Seban).

Marie Le Bec

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À Bordeaux, le 8 août 2022

Cécité Malaga,
Benjamin Lacombe
Albin Michel Jeunesse
Novembre 2021
12 pages
19.90 €

Crédits photos © Benjamin Lacombe.

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