L`Intermède
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SCÈNE NUE. RIDEAU SOMBRE. Côté jardin, des percussions et un instrument étrange, qui tient tout à la fois de l’harmonium et de la quenouille. À l’avant-scène, le magicien Prospero, autrefois détrôné du duché de Milan par son frère, est agenouillé sur le sol. Il plie et replie un bateau de papier. Une fois le bateau lancé sur les flots imaginaires, la tempête se déchaîne ; celle qui va provoquer le naufrage du roi de Naples et du duc de Milan sur l'île où Prospero et sa fille ont été exilés. La Tempête, ultime texte de Shakespeare et adapté par la compagnie Zéfiro Théâtre au Vingtième Théâtre, à Paris, peut commencer. 
 
PEUT-ÊTRE QUE CE QUE NOUS ALLONS VOIR n’est qu’un jeu. Jeu dangereux, certes, engendré par la perte et le délire, mais jeu tout de même. Née sur cette "autre scène" de l’esprit d’un Prospero qui, comme l’enfant qui joue, s’imagine un scénario où sa toute-puissance s’exerce sur les hommes et la nature, l’histoire qui nous est contée est "faite de l’étoffe des songes" et met le spectateur face à un espace qui apparaît comme la matérialisation d’un monde intérieur. On ne cessera, alors, de voir le rêve s’ajouter au rêve, jusqu’à brouiller les frontières du réel et de l’onirique. Peut-être parce que, comme le remarque Sébastien lorsqu’Antonio lui suggère de tuer le roi endormi pour usurper sa place, tout désir de pouvoir n’est rien moins qu’un rêve éveillé : "A coup sûr c’est le langage du rêve que tu parles tout éveillé. Qu’est-ce que tu as dit ? Étrange repos de dormir ainsi les yeux tout grands ouverts ! Être debout, parler, remuer, et pourtant dormir si profondément !"
 

Métamorphoses
 
LA MISE EN SCÈNE, les costumes, le travail des acteurs sur le mouvement estompent la matérialité des corps, défient les contraintes du réel, créent des silhouettes fugitives laissant entrevoir la présence de ce qui, demeuré dans l’obscurité, est pourtant bel et bien là, sur cette scène intime que partagent Prospero et les spectateurs. Que le duc déchu se remémore la trahison qui l’a mené sur cette île lointaine, et l’on voit l’événement se rejouer derrière lui, par l’intermédiaire de deux masques qui, émergeant furtivement de l’obscurité avant d’y replonger, conspirent en silence pour lui ôter sa couronne. Que Miranda – la fille de shakespeare, la tempête, tempete, william, william shakespeare, Zéfiro Théâtre, zéfiro, théâtre, vingtième, paris, adaptation, critique, analyse, prospero, image, images, texte, pièce, citationProspero – et Ferdinand – le fils du roi de Naples – tombent amoureux, et les voilà en train de voler l’un vers l’autre, portés par les esprits qui agissent sur leurs sentiments et leur volonté. La réalité, instable, vacillante, semble avoir l’évanescence du rêve, et se montre aussi sujette à transformation que le dieu Protée.

BELLE ILLUSTRATION de ce transformisme onirico-ovidien : la scène où Trinculo et Caliban, réunis sous une même cape, forment une étrange bête aux allures mythologiques, à laquelle la précision chorégraphique des deux acteurs donne des formes sans cesse renouvelées. Et au-delà même de ce moment symbolique, qui incarne de manière comique et esthétique le thème de l’illusion si cher à Shakespeare, il semble qu’il n’y ait pas de corps qui, au cours de la représentation, ne soit poussé jusqu’aux limites de ses distorsions possibles. On ne peut qu’apprécier l’attention portée aux costumes et à la lumière, qui confère à Ariel une silhouette aussi aérienne qu’invisible, ou à Caliban la lourdeur difforme de ses membres. De même, on ne peut qu’admirer la souplesse et l’agilité des comédiens où s’incarnent ces corps remodelés sur l’anatomie de personnages fantastiques : esprit du vent désincarné et monstre pesant indéfectiblement lié à la terre. Les masques parachèvent la métamorphose, une commedia dell’arte qui ramène les personnages à ce qu’ils sont : des types, étranges et inquiétantes caricatures de forces qui s’affrontent au cœur même de l’esprit de Prospero ; des faces qui, dans leurs dramatiques protubérances, personnifient une part de son être, représentent les forces obscures et les sentiments contradictoires qui l’habitent.


Les ficelles de l’histoire
 
REPRÉSENTATION D'UN MONDE intérieur où surgissent les démons de la mémoire et de l’inconscient, la pièce de Shakespeare est aussi une réflexion métathéâtrale, sur la nature de la représentation – imaginaire ou scénique –, sur l’art de raconter et de partager des histoires, sur la fragilité du réel. La magie de Prospero est, d’abord, celle d’un dramaturge doublé d’un metteur en scène qui écrit le scénario de sa revanche sur ses ennemis, en dresse le décor, provoque les péripéties indispensables au déroulement de l’histoire et influe sur les motivations des personnages de manière à substituer sa volonté à leur libre-arbitre. Ici, ce n’est pas à l’acte IV, alors qu’il envoie Miranda et Ferdinand dans la grotte, que Prospero lance son fameux "Nous sommes faits de l’étoffe des songes", mais à la toute fin du spectacle quand, une fois les autres personnages disparus, il s’adresse au public pour mettre fin à la comédie qu’il a orchestrée : "Maintenant voilà nos divertissements finis ; nos acteurs, comme je vous l’ai dit d’avance, étaient tous des esprits ; ils se sont fondus en air, en air subtil ; et, pareils à l’édifice sans base de cette vision, se dissoudront aussi les tours qui se perdent dans les nues, les palais somptueux, les temples shakespeare, la tempête, tempete, william, william shakespeare, Zéfiro Théâtre, zéfiro, théâtre, vingtième, paris, adaptation, critique, analyse, prospero, image, images, texte, pièce, citationsolennels, notre vaste globe, oui, notre globe lui-même, et tout ce qu’il reçoit de la succession des temps ; et comme s’est évanoui cet appareil mensonger, ils se dissoudront, sans même laisser derrière eux la trace que laisse le nuage emporté par le vent. Nous sommes faits de la vaine substance dont se forment les songes, et notre chétive vie est environnée d’un sommeil."

DANS CET ESPACE ISOLÉ, exotique, coupé de toute civilisation, que constitue l’île de son intériorité, Prospero était maître du monde, commandait aux esprits et aux démons, avait le pouvoir de déchaîner les éléments, de provoquer les naufrages, de faire naître les idylles ou de déjouer les complots. Il pouvait instiller en chacun l’amour ou la haine, le dévouement ou la déloyauté et, manipulant les protagonistes au gré de ses caprices, asservir le monde à ses propres désirs. Ses derniers mots mettent fin à la pièce en même temps qu’à ses propres fantasmes et mettent en abyme, par cette tempête intime que le personnage a transformée en spectacle, le plaisir obscur que partagent acteurs et spectateurs à voir déroulées dans "l’espace vide" de la scène théâtrale les images qui peuplent leur imaginaire.

L'INTERPRÉTATION QUE LA COMPAGNIE Zéfiro Théâtre propose de La Tempête, parce qu’elle fait se rencontrer le visible et l’invisible, réconcilie la scène occidentale avec certains aspects du théâtre sacré, tout en tirant tout le parti possible de la verve poétique et truculente de l’écriture shakespearienne. Proche d’un théâtre total, elle mobilise à plein l’énergie de comédiens qui, au jeu verbal, associent le rythme, la musique et une maîtrise corporelle proche de la danse. Une chorégraphie à laquelle Prospero, seul maître à bord, met fin une fois soufflée la dernière de ces lumières qui, telles des lucioles, faisaient luire dans l’obscurité des particules d’imaginaire.

F. K.
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à Paris, le 15 octobre 2014

La Tempête, de William Shakespeare
Jusqu'au 26 octobre 2014

Adaptation d'Ariane Bégoin et Ned Grujic
Mise en scène de Ned Grujic et Rafael Bianciotto
Avec Charlotte Andrés, Rafael Bianciotto, Anne-Dominique Défontaines, Christophe Hardy, Jean-Luc Priano, Francis Ressort

Vingtième Théatre
7 rue des Platrières
75020 Paris

Jeu - Sam 19h / Dim 15h
Tarif plein : 25€ / Tarifs réduits : 20€, 13€
Renseignements et réservation : 01 48 65 97 90
 
 




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