L`Intermède
Oh. My. God.Dieu de Woody Allen, Manufacture des Abbesses, Nicolas
Morvan, Sylvain Quimène, Yvan Lambert, théâtre
Jusqu'au 29 mai, La Manufacture des Abbesses accueille Dieu, une pièce de Woody Allen qui date de 1975, mise en scène par Nicolas Morvan. L'occasion de tester une fois de plus le génie comique du New Yorkais, tout aussi efficace sur planches que sur pellicule, et de retouver ses névroses obsessionnelles et ses dialogues psychanalytico - métaphysiques. Avec pour sujet du jour : le libre-arbitre.

Dans la Grèce antique, Hépatitis (Yvan Lambert), dramaturge qui rêve de remporter le concours dramatique, désespère de trouver une fin à sa pièce et cherche une solution avec Diabétès (Sylvain Quimene), le comédien. Mais où s'arrête le personnage et où commence l'acteur ? Qui avons-nous devant nous, le grec ou l'homme moderne qui l'incarne et attend avec impatience la fin du spectacle pour aller manger au Fouquet's avec ses collègues comédiens ? Un jeu schizophrénique s'installe, l'identité du corps sur scène devient fluctuante. Qui plus est, les deux grecs savent bien qu'ils sont les héros d'une pièce écrite par un autre. Les planches se peuplent ainsi de figures anachroniques et aussi hétéroclites que Doris Levine (Leila Moguez)  de la Courneuve en version française - la traduction de la pièce est de Michel Lebrun -, Lorrenzo Miller (Grégory Sauvion) - qui a écrit une pièce sur des spectacteurs qui assistent à un spectacle à la Manufacture des Abbesses... - Bob et Wendy Destin ou le choeur antique de la pièce d'Hépatitis. Une mise en abyme délirante qui ne cesse de ruiner les efforts d'Hépatitis en s'écartant de sa pièce pour mélanger les époques et les niveaux fictionnels. "Ma pièce, ma pièce !", s'écrit-il régulièrement, affligé par les incartades de Diabétès ou de Doris.

Dieu de Woody Allen, Manufacture des Abbesses, Nicolas Morvan, Sylvain Quimène, Yvan Lambert, théâtreEt le spectateur ? N'est-il pas lui aussi le personnage d'une pièce ? Existe-t-il vraiment ? Trichinosis est embêté parce que Socrate vient de lui prouver qu'il n'existait pas, et l'on peut se demander si le spectateur n'est pas tout aussi faux que ce Zeus qui susurre "zzzzzhhhh" en brandissant son éclair en carton pâte. Lorsque la frontière entre la fiction et la réalité devient poreuse, le spectacle quitte la seule scène pour envahir l'ensemble de la salle. La mise en abyme illustre la réflexion métaphysique sur la notion de libre-arbitre. Ainsi, le dramaturge n'est autre qu'une figure démiurge. Le personnage, puisque ses paroles et ses actions sont déjà écrites, n'a pas de libre-arbitre ; mais ne sommes-nous pas tous des personnages, écrits par d'autres, par Lorenzo Miller, par Woody Allen peut-être -  par Dieu ? -  jouant simplement notre rôle sans même nous en apercevoir ? Sommes-nous face à un spectacle ou en faisons-nous partie ? Sommes-nous réellement libres ?

Voilà un projet qui n'a finalement rien d'étonnant pour le réalisateur de La Rose pourpre du Caire (1985) - où un personnage de cinéma traversait l'écran. S'il a écrit des films sur le cinéma comme Hollywood Ending (2002) - l'histoire d'un metteur en scène aveugle -, des pièces sur le cinéma - Play it again, Sam (1969) étant, comme son titre en forme de citation de Casablanca l'indique, une pièce hantée par Humphrey Bogart - et des films où apparaît le monde du théâtre, il était logique pour compléter le tableau d'écrire une pièce de théâtre sur le théâtre. Un pièce où Blanche Dubois peut s'échapper d'Un Tramway nommé désir de Tennessee Williams pour rejoindre des grecs dans l'Antiquité. Les comédiens surgissent de toutes parts, occupant l'ensemble de l'espace de la petite salle de la Manufacture des Abbesses, interpelant les spectateurs, leur donnant l'impression d'être partie prenante de l'action. Le tout rythmé par les apparitions masquées du Choeur, dansant et déclamant son texte solennellement même lorsqu'il s'agit de recommander aux acteurs... un restaurant chinois.

Au-delà de ce labyrinthe apparent, la pièce impose pourtant avec aisance sa volonté comique première. Dans l'imaginaire commun, les deux facettes du réalisateur à lunettes, né à New York en 1935, le comique adepte du stand up qui raconte des blagues ou qui n'hésite pas à se déguiser en spermatozoïde dans Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sexe sans jamais oser le demander (1972) et le metteur en scène intello Dieu de
Woody Allen, Manufacture des Abbesses, Nicolas Morvan, Sylvain Quimène,
Yvan Lambert, théâtreamateur d'Ingmar Bergman de Manhattan (1979) et d'Intérieurs (1978), ne sont pas toujours faciles à concilier. Et pourtant, le mélange des deux est précisément ce qui fait la saveur de l'humour allenien. Ainsi, dans Dieu le propos métaphysique et la structure méta-théâtrale ne font pas oublier le plaisir du gag, de la légèreté et du farfelu. Le metteur en scène de la pièce Nicolas Morvan respecte parfaitement cette dualité dans ce qu'il appelle "un joyeux désordre très organisé". "Je conçois [la pièce] avant tout comme une pure comédie, très représentative de la liberté (liberté de ton, liberté sexuelle) qui a caractérisé les années 1970", explique-t-il. 

Du bon mot - "Dieu est mort" constate le mèdecin en examinant l'acteur qui interprète Zeus électrocuté par sa machine à Deus ex machina - aux grimaces de Diabetes embarqué dans une performance d'Air guitar sur un solo de Jimi Hendrix - Sylvain Quimene est en effet champion du monde dans cette discipline qu'il pratique sous le nom de Gunther Love -  en passant par des gags visuels imparables - Bursitis (Jacques Trin), dans une scène muette aux allures de slapstick,  tire longuement sur une corde qui semble être attachée à un objet particulièrement lourd qui n'est autre, finalement, qu'un miniscule cheval de bois - , les zygomatiques dans la salle font de la gymnastique. Dans ce joyeux bric-à-brac, la mise en scène de Nicolas Morvan, qui joue également dans la pièce et avait déjà porté sur les planches Disco Pigs de Enda Walsh à la Manufacture des Abbesses en 2009, sait maintenir le rythme, surprendre et mettre en valeur ses huit comédiens qui se partagent l'ensemble des rôles, changeant régulièrement de costumes et de personnages, bel hommage au burlesque cérébral de Woody.
 
Claire Cornillon
Le 24/03/10

Dieu de Woody Allen, Manufacture des Abbesses, Nicolas Morvan, Sylvain Quimène, Yvan Lambert, théâtre
Dieu
, de Woody Allen, jusqu'au 29 mai 2010
Manufacture des Abbesses
7 rue Véron
75018 Paris
Mise en scène : Nicolas Morvan
Avec Sylvain Quimene, Yvan Lambert, Jacques Trin...
Rens. : 01 42 33 42 03







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