
C'EST QUE, COMME L'ANNONCE le titre de l'article de Simona Emilia Pruteanu, "les secrets de famille peuvent cacher les traumatismes de tout un pays". Ainsi poursuit-elle la mise en relation de l'individuel et du collectif : dans les trois romans étudiés, qui sont autant d'exemples d'une écriture migrante, le secret de famille conduit le personnage principal vers la quête de ses origines, qui sert alors à dénoncer les secrets honteux du pays. Calomnies de Linda Lê thématise la situation des enfants nés de pères inconnus après la guerre du Vietnam, Le retour de Lorenzo Sanchez de Sergio Kokis expose la discrimination des métis au Chili, alors que Je dois tout à ton oubli de Malika Mokkedem traite de la période de la post-colonisation en Algérie, et de ses répercussions sur la condition féminine. La notion d’écriture migrante sert de fil rouge à l'analyse : héritiers d’une mémoire discordante dans un milieu qui leur est étranger, les écrivains en question connaissent des tensions identitaires, et c'est cette filiation problématique qui se trouve à l’origine de leurs récits.
LA CRÉATION LITTÉRAIRE peut, dans ce parcours vers soi, fonctionner comme moyen de survie. C'est ce que montre Caroline Barrett dans la lecture qu'elle fait d'un roman de Francine Noël où une jeune femme québécoise issue de la classe prolétaire, autrefois nommée Mary, décide de devenir Maryse. Elle quitte ainsi son milieu et son identité, se défait d'un soi qui, demeuré dissimulé aux autres, continue pourtant à la poursuivre et à lui faire secrètement honte. Lieu d'une origine non-intégrée dans la vie adulte, sa vision du passé familial reste vague et indécise, mêlant les représentations construites au présent aux impressions idéalisées de l'enfance. Maryse finit par conquérir son identité en acceptant la vérité de ses origines et en rejetant les illusions de l’enfance, ce qui lui permet de libérer son élan créateur et de se refonder dans l’écriture.
ALORS QU'ELLE EXPLORE "l’espace de la parole et le secret de famille dans l’œuvre de Michel Tremblay", Sara Bédard-Goulet évoque le retour sur les origines des personnages des Chroniques du Plateau-Mont-Royal tel qu'il se manifeste dans le pan dramaturgique de l’œuvre de l'écrivain québécois. Les protagonistes se voient dotés d’un passé familial et, ainsi racontée ainsi au fil des textes, l’histoire de la famille de la rue Fabre et des secrets qui la hantent, notamment de l’inceste fondateur, figure l’expulsion de la parole authentique par le secret. La stratégie narrative de Tremblay, affirme l’auteure, repose sur l’occultation et la révélation. Dans l’ignorance du secret, les membres de la famille sont touchés par son occultation, qui les empêche de se construire. Chez certains personnages une attitude d’opposition mène vers la parole créatrice : en ouvrant l’espace de la parole authentique, ils regagnent leur vérité. Mais la révélation au sens propre est réservée au lecteur : grâce aux liens intratextuels entre les pièces de théâtre et les romans, il peut comprendre le secret et reconstituer l’histoire familiale.


