L`Intermède
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NOUVEAUTÉ DE CETTE RENTRÉE 2016, L'Intermède entreprend de se pencher sur un territoire aussi vaste que peu exploré : celui de la littérature jeunesse. En guise de mise en bouche, nous vous présentons aujourd'hui deux albums qui, alliant le pastiche à la parodie, jouent avec humour sur les codes littéraires pour le plus grand plaisir des tout-petits comme de leurs aînés
 L'Animagier de Camille Louzon et La Fourmi et le Loup de Jeanne Ashbé. Focus sur ces deux réussites des éditions L'Agrume et L'École des Loisirs.

Par Marion Point
 
PARMI LE FLOT de publications pour la jeunesse qui constitue à lui seul une véritable rentrée littéraire, L’Animagier et La Fourmi et le Loup se distinguent par leur qualité graphique, leur fantaisie et leur propension à renouveler voire à décaper des formes classiques de la littérature enfantine. Dans la droite ligne de certains maîtres du domaine – le succès des histoires de Goscinny, par exemple, s’explique aussi par cette coexistence de plusieurs degrés d’humour, qui permettent autant de relectures successives au fil des années – les auteures introduisent leurs jeunes lecteurs au plaisir de la connivence culturelle et de son détournement. Image et texte se conjuguent pour redonner un nouveau souffle aux motifs les plus rebattus de la littérature enfantine.


Bestiaire poétique
 
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AVEC L'ANIMAGIER, Camille Louzon part des principes classiques du bestiaire et de l’imagier, mais use d’humour pour nous livrer une version originale de ces poncifs de la littérature de jeunesse. Dans son album, ce n’est pas le choix des sujets illustrés qui fait œuvre de nouveauté, mais leur traitement : chaque animal, représenté sur une page de droite, se voit doté d’accessoires choisis par association d’idées avec son apparence physique, son nom ou le caractère que la doxa lui prête. Cette mise en image est approfondie ou explicitée, sur la page de gauche, par une sorte de haïku en deux ou trois vers libres. Ainsi, face à un hérisson dont les pics forment une crête tout à fait punk, nous lisons : « Rebelle : / Insoumis et révolté, / le hérisson ne se laisse pas marcher sur les pieds. » Ailleurs, un manchot en nœud papillon, présenté comme « serviable », porte au beau milieu de la banquise un plateau de champagne frais et un hippocampe caparaçonné d’un heaume et armé d’une épée s’affiche comme un animal « chevaleresque ». La physionomie du dromadaire en fait le « bosseur » de la savane, un jeu de mots sur son nom fait du coq un « coquet » et une expression bien connue des lecteurs permet de présenter un crocodile larmoyant comme un être « émotif ».

L'INTÉRÊT DE CET IMAGIER que Magritte n’aurait pas boudé ne tient pas seulement à la présentation fantaisiste des animaux et au court portrait poétique qu’en fait Camille Louzon, il réside aussi dans la qualité plastique de chaque planche. Les animaux sont peints à la gouache dans des décors simples et harmonieux et si la palette de l’auteure est assez réduite, c’est qu’elle travaille essentiellement par aplats de couleurs tendres.
 

Dans la peau d'une fourmi
 
AUTRE ALBUM, autre manière de réinvestir le patrimoine de la littérature de jeunesse. Avec La Fourmi et le Loup, Jeanne Ashbé nous propose une réécriture du Petit Chaperon rouge. Si les reprises de ce conte traditionnel ne manquent pas – de Perrault au film de frères Edwards et de Tony Leech – l’auteure s’adonne ici à une relecture des plus originales qui repose avant tout sur un changement radical de point de vue lié à l’introduction d’un nouveau personnage. Ce nouveau personnage, c’est « une toute petite petite petite fourmi » qui se délecte de beurre dans le petit pot bien connu de tous et qui se retrouve accidentellement embarquée dans le panier et l’aventure du Petit Chaperon rouge. Le lecteur suit alors les pérégrinations de l’insecte qui traverse la forêt, entend la grosse voix du loup et rentre chez la grand-mère sans que l’histoire originale ne soit jamais réellement rappelée. Ce qui compte ici, ce n’est plus l’apprentissage de la petite fille face aux dangers du monde, mais les sensations et les sentiments d’une fourmi qui explore un nouvel univers et s’y trouve bien aise. Le jeune lecteur se réjouira des péripéties vécues par la protagoniste tandis que les plus expérimentés rirons du décalage entre les perceptions de l’insecte et le contenu des scènes phares du conte qui transparaissent dans les illustrations et y défilent comme un arrière-plan. C’est le cas, par exemple, lorsque la fourmi apprécie « les bruits d’une vie sans histoire » qui ne sont autres que les ronflements du loup couché sur le dos et le ventre bien rebondi après avoir dévoré le Petit Chaperon rouge et sa grand-mère.

litterature jeunesse, albums, rentree litteraire, camille louzon, jeanne ashbe, animagier, la fourmi et le loup, bestiaire, imagier, conte, petit chaperon rouge, parodie, ecole des loisirs, lagrumeLE CHANGEMENT de point de vue proposé par Jeanne Ashbé lui permet donc d’injecter une bonne dose d’humour dans le conte, tout comme il est l’occasion d’un travail peu commun au niveau des illustrations. Dans cet album, toutes les images semblent coupées, rejetant dans le hors-champ la plupart des éléments clefs du conte d’origine. Ce cadrage peu commun va de paire avec l’utilisation du gros plan : un pot de beurre dont on ne voit que le tiers mais qui occupe une bonne partie de l’image ou bien un bout de main de petite fille qui apparaît dans toute la hauteur d’une double page donnent à l’ensemble une impression de gigantisme et traduisent à merveille le regard de la fourmi. Une façon aussi efficace qu’originale de faire du neuf avec du vieux !

M.P.
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A Paris, le 19 novembre 2016
 
L’Animagier de Camille Louzon
L’Agrume, septembre 2016
Prix : 20 €

La Fourmi et le Loup de Jeanne Ashbé
L’École des loisirs, septembre 2016
Prix : 13,50 €





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