L`Intermède
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GROUPE DE MÉTAL originaire de Rouen, Superscream a sorti au mois de mai son deuxième album studio intitulé The Engine Cries et les critiques sont jusque là unanimes : de ce disque émane quelque chose de nouveau, une originalité qui se retrouve aussi dans le processus de composition. Rencontre avec Phil Vermont et Éric Pariche, respectivement guitariste et chanteur de Superscream.

Par Léo Hébert
 
LES MUSICIENS SONT ISSUS d’univers musicaux très variés et se rassemblent autour de ce projet métal, animés par la volonté de métisser leurs influences pour aboutir à un résultat inattendu. Phil Vermont le dit très bien : "Il n’y a pas grand chose qui a été laissé au hasard dans le disque. On peut aimer ou ne pas aimer les partis pris, mais ce sont des partis pris.The Engine Cries est une œuvre riche dans laquelle le métal se nourrit des autres genres tels que le jazz ou le rock et où des textes sombres (The Engine Cries Superscreamrise) en côtoient d’autres plus absurdes (Where’s my mom ?). S’ajoute à cela la volonté de s’appuyer sur des supports visuels pour étoffer l’identité du groupe et des morceaux à travers un objet-disque extrêmement travaillé et la mise en place d’une scénographie lors des concerts. En d’autres termes, la musique de Superscream porte en elle tous les enjeux de l’industrie musicale actuelle. Elle interroge la dématérialisation de la musique, l’importance de la scène et du métissage des genres. Elle questionne le processus de composition et la frontière entre travail collectif et travail individuel au sein d’un groupe.

 

Composition


THE ENGINE CRIES FOURMILLE de détails et d’originalités qui ont été travaillés durant les six années qui l’ont séparé de Some Strange Heavy Sound, le premier opus de Superscream. Le travail de composition a été réalisé par Phil Vermont et a nécessité neuf mois de travail. Le reste du temps a été consacré à la programmation d’instruments ethniques (comme le darbouka, le tabla ou encore les cithares) et à la recherche pour chaque instrument, voix comprise, du son idéal : "En ce qui concerne le son des guitares, j’ai mis un certain temps à expérimenter des choses, à trouver le bon son. Idem pour l’interprétation : lorsque je suis derrière la console je suis un peu psychopathe et perfectionniste. On peut très bien réussir quelque chose à l’instinct comme on peut avoir besoin de faire trente ou quarante prises pour arriver exactement à ce que l’on veut", explique Phil.
 
CE PERFECTIONNISME QUI CARACTÉRISE le groupe n’est en rien synonyme d’enfermement, bien au contraire. Superscream ne se refuse rien et prend plaisir à proposer des changements brutaux d’ambiance au sein d’un album pourtant très cohérent. Il y a certes le désir de raconter des histoires, de mettre en place une certaine unité mais il n’est pas question ici de concept album. Les morceaux peuvent se répondre à travers des leitmotivs plutôt discrets et vont même parfois jusqu’à faire référence au précédent opus. Superscream est une histoire d’alliance, l’alliance entre le collectif et l’individuel, entre rigueur tyrannique et recherche perpétuelle de l’ouverture, entre univers musical et univers visuel. Ce lien entre perfectionnisme et diversité se retrouve également dans la sonorité des textes dont l’écriture est, encore une fois, à mi-chemin entre un travail solitaire et un travail de groupe. Éric écrit la majeure partie de ces textes (l’autre étant laissée aux soins du bassiste Stéphane Lescarbotte) et leur confère la profondeur ou l’humour qu’il souhaite tandis que Phil inspecte les rimes, le nombre de syllabes par vers et le rythme des mots. Eric précise : "C’était parfois un casse-tête chinois pour obtenir les sonorités que Phil voulait tout en gardant le sens que moi je voulais donner. (…) Quand on compose et répète sans texte, le yaourt que je chante en anglais est écrit : c’est-à-dire que lorsqu’on rédige le vrai texte, on garde les sonorités du n’importe quoi initial." Ainsi, l’écriture d’un refrain peut s’avérer très difficile comme ce fut le cas pour Metal Builder. Il en résulte un texte travaillé, un compromis entre le sens désiré par Éric Pariche et les sonorités que recherchait Phil Vermont.
 
LA DIVERSITE DES THÈMES abordés, des genres musicaux approchés est une conséquence du parcours de chaque membre du groupe et qui témoigne une nouvelle fois des enjeux actuels du monde musical. "Quand tu essayes de vivre de la musique, tu es obligé de faire des choses très différentes", affirme Phil qui a auparavant joué dans des groupes de jazz-rock ou encore de latino festif. Éric Pariche, lui, vient de l’opéra. Les origines de chacun font partie intégrante de la musique que joue Superscream, elles expliquent les instruments ethniques, l’envie de ne fermer aucune porte mais aussi les problèmes d’agenda et le délai entre la sortie des deux albums du groupe.
 
THE ENGINE CRIES EST UNE FRONTIÈRE, un enchaînement de pas de côté qui permettent à l’auditeur de ne jamais cesser d’être surpris. De la chanson éponyme à Ways out en passant par Velvet Cigarette, les titres se suivent et ne se ressemblent pas, à l’image des différents projets des musiciens de Superscream qui tentent de vivre de leur art. Les contraintes qu’ils rencontrent, ils les incluent dans le processus de composition pour les transformer en atouts. C’est la raison pour laquelle Superscream prend son temps, pour ne rien laisser au hasard. Et cette rigueur s’étend au-delà de la composition puisque le groupe a choisi d’appuyer autant que possible la dimension visuelle qu’il souhaite lier à sa musique, que ce soit sur le plan de la conception graphique de l’album ou de la scène.

 

Scène et aspects visuels

 
L’OBJET SE PRÉSENTE EN TROIS VOLETS. Au centre de la pochette, un véhicule dont l’aspect semble directement inspiré du steampunk vogue sur un océan de matière laiteuse. La coque de cet étrange navire est en fait une baignoire dans laquelle on remarque de nombreux engrenages et tuyaux qu’on suppose indispensables au bon fonctionnement du véhicule. Mais ce qui accroche immédiatement le regard, c’est cette potion rose contenue dans un récipient de verre. Elle est au cœur du travail graphique effectué pour l’album et elle est omniprésente puisqu’elle apparaît sur chaque volet qui compose l’objet-disque. "Il s’agit de la Evil Cream, c’est une matière mystérieuse dédiée au metal et qui est un peu un fil conducteur de cet album."
 
 
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OUTRE CETTE ÉTRANGE MATIÈRE, l’aspect graphique demeure déroutant. Il s’agit là encore d’une frontière entre le vide et le plein : leur choix des couleurs donne l’impression d’un visuel très chargé, très dense tandis qu’en y regardant de plus près, on comprend que le groupe nous présente un désert, un décor principalement marqué par le vide. Ce décor sort littéralement du disque puisque la bordure qui soutient le livret est en trois dimensions. Autre étrangeté, c’est un morceau de gomme qui maintient le CD en place. La dimension visuelle de l’album est le fruit du travail d’Éric Pariche, réalisé en étroite collaboration avec le designer Stan-W Decker. Éric s’explique : "Je ne voulais pas de plastique dans le packaging, je voulais une découpe personnalisée, que l’objet soit beau et particulier, qu’il ait un côté steampunk, prog, surréaliste comme on peut en trouver sur les pochettes de Dream Theater par exemple."
 
SUPERSCREAM PORTE UNE GRANDE ATTENTION à l’objet-disque à une époque où la musique semble de plus en plus dématérialisée. Ce parti pris est aussi défendu sur scène puisque le groupe a mis en place une véritable scénographie lors des concerts. L’univers visuel de Superscream, déjà dense sur le disque, est amené à prendre vie. Masques, costumes, décor reprenant le vaisseau présent sur la pochette, consommation de la Evil Cream face au public : le groupe multiplie les éléments pour permettre une immersion dans leur spectacle. La mise en scène est en constante évolution, sans cesse nourrie des idées de chaque membre. Un changement radical comparé aux débuts de Superscream selon Phil : "La première mouture de Superscream était plus prog, on se contentait de jouer les morceaux et cela ne nous satisfaisait pas."
 
L’AUDITEUR N’A PAS D’AUTRE CHOIX que d’être aussi spectateur, il embarque à bord de ce vaisseau-métal pour multiplier les angles de vue, pour plonger dans différentes influences et différentes émotions. En ce sens, The Engine Cries est le résultat d’un groupe qui a trouvé sa formule, une formule qui ne laisse rien au hasard et fait la part belle au plaisir et à l’expérimentation tout en conservant une rigueur et un perfectionnisme inaltérables. La musique de Superscream reflète les questions actuelles concernant la production, la diffusion, et la représentation de la musique. Le groupe redonne sa valeur à l’objet-disque, prend acte de l’importance de la scène et se bat pour tout se permettre. En jouant sans cesse avec les frontières, il propose une nouvelle approche et montre à ceux qui ne le savaient pas déjà que le métal est une histoire de mélange.

 
L. H.
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À Paris, le 8 juin 2017



The Engine Cries, de Superscream
Sorti le 5 mai 2017 




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