L`Intermède
Willy Ronis, photographie, Jeu de Paume, Monnaie de Paris, photographie humaniste, Paris, centenaire, Gordes, Vaucluse, objectif, exposition, rétrospective, biographie, parcours, carrière, oeuvreWilly Ronis, la carte du tendre
La Monnaie de Paris et le Jeu de Paume fêtent le centenaire de la naissance de Willy Ronis (1910-2009) avec une rétrospective qui alterne icônes et surprises, soit un ensemble de 160 photographies. Willy Ronis, une poétique de l'engagement est installée sur les bords de la Seine, au premier étage de l'Hôtel de la Monnaie, jusqu'au 22 août, et scelle les retrouvailles entre l'un des maîtres de l'école humaniste et un public toujours nombreux et admiratif, au-delà des générations et des cultures. Des retrouvailles conçues comme un tête à tête par Marta Gili, la directrice du Jeu de Paume et commissaire de l'exposition, moins d'un an après la disparition du photographe.

On ne voit qu'elle, très grande, très jaune, très gaie. Telle une oriflamme, elle flotte au-dessus de l'immense entrée de la Monnaie, annonçant l'exposition consacrée à Willy Ronis. L'affiche représente Le Nu provençal, Gordes (Vaucluse), 1949, l'un des clichés les plus connus du photographe : on y voit sa compagne, nue, de trois quart, faisant sa toilette dans leur maison du sud de la France. Près d'elle, posé à même un sol de guingois, un broc fleuri, à sa gauche, une chaise de paille au siège défoncé. Et juste à sa droite, une fenêtre grande ouverte sur un jardin que l'on devine sauvage et baigné de lumière. Comme à la maison, serait-on tenté de dire. Et, de fait, comment ne pas se sentir un peu chez soi quand l'on passe sous cette icône qui en dévide aussitôt une dizaine d'autres ? Ne serait-ce - la proximité de la Seine faisant office de madeleine - que cette photographie prise du haut d'un pont, vue plongeante sur un convoi de péniches, le ventre de la dernière barge servant de piste à deux garçonnets en culottes courtes. On retrouvera La Péniche aux enfants, 1959, dans la première salle de l'exposition. Comme Le Petit Parisien, 1952, gamin malicieux à la baguette plus longue qu'il n'est haut et qui avance d'un pas aussi fiérot que déterminé, sourire aux lèvres et débardeur tricoté, ou encore comme ces trois garçonnets emmitouflés dans leur cape, marchant de bon pas le long d'une route de campagne, dans une atmosphère que l'on devine gelée (Lorraine en hiver, 1954). Les uns et les autres même pas impressionnés par les 15 mètres de hauteur de plafond, la coupole et les colonnes du grand salon de la Monnaie de Paris.

Trop respectueux pour être jamais déplacé, Willy Ronis qui a, en partie, supervisé le montage de cette rétrospective venant après l'hommage qui lui fut rendu l'été dernier aux Rencontres de la Photographie d’Arles (Gard) en sa présence - il est décédé le 11 septembre 2009 -, ne départ pas le moins du monde dans cet espace imposant. Marta Gili a même joué de cette immensité et de la présence des colonnes pour accrocher les images qui se rapportent au Territoire urbain. Et voilà le visiteur invité, comme le faisait Ronis, à déambuler dans Paris et sa périphérie, mais également dans certaines villes minières du nord. C'est donc en flânant que l'on revoit les galopins qui traversent son objectif avec une régularité amusée qui en dit long sur la tendresse - jamais mièvre - qui unissait le photographe à ses modèles furtifs. Des passagers dont il conservait d'ailleurs un souvenir prégnant : "Rien ne devait être laissé au hasard. Il noircissait ces agendas d'anecdotes, et l'on possède tous ses carnets depuis 1926. Et chacune de ses photos a une histoire bien à elle", raconte Stéphane Kovalsky, son petit-fils. "Il suffit parfois de quelques mots retrouvés à telle date pour que surgisse une foule de souvenirs dans la mémoire jusque-là assoupie", lit-on un peu plus loin, sous la plume du prolixe Ronis. De l'image au récit… Marta Gili a donc fait le choix de laisser la parole au photographe. Ce sont ses Willy Ronis,
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rétrospective, biographie, parcours, carrière, oeuvrecommentaires qui vont de l'humeur qui était la sienne ce jour-là aux conditions dans lesquelles il fut amené à faire cette image, sans oublier (très important) les consignes de tirage. "Toutes les photographies exposées ont d’ailleurs été tirées ou validées par lui", précise la directrice du Jeu de Paume.

Devant Les adieux du permissionnaire, 1963, qu'il surprend derrière le rideau de la fenêtre d'en-face, il avoue ainsi avoir des "scrupules", mais il courra pourtant prendre son appareil, et à son retour les amants n'auront pas bougé, toujours serrés l'un contre l'autre. Cette "légende" nous apprend, dans la foulée, qu'à cette époque Ronis loue "un labo situé dans un passage reliant la rue Lecourbe et le boulevard Garibaldi". Et cette précision qui le concerne, lui, n’est pas aussi superflue qu'on pourrait l’imaginer, elle dit tout au contraire l’empathie et même l’engagement qui sont les siens au moment précis où il prend la photo. Ainsi encore de ce cliché effectué pour le compte de la SNCF qui lui commande un reportage sur le rapatriement des prisonniers de guerre, et intitulé Le retour des prisonniers, Paris, 1945. On y voit une sœur embrassant un de ces prisonniers, dans un geste de tendresse qui amena son auteur à ne pas remettre cette image à son client, l'ayant jugée "trop intime". S'esquisse au fil de l'exposition un autoportrait entre les lignes, en cinq chapitres, écho à son autoportrait en noir et blanc et en pied qui domine le grand escalier de pierre menant au premier étage. Willy Ronis, fine moustache, front haut et lunettes circulaires, nous fixe, l'appareil dans une main, la lampe dans l’autre. A la rue et ses passants succèdent les thématiques du travail, de ses voyages (car il ne fut pas qu'un photographe de Paris), du corps et du territoire privé.

C'est peut-être d'ailleurs dans la deuxième salle que son œuvre se veut plus encore le prolongement de ses convictions d'homme engagé. Né en 1910, Willy Ronis est de cette génération qui, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, veut croire dans l'avènement d'un monde meilleur. Communiste convaincu, il entreprend toute une série de reportages dans le milieu ouvrier dont il est solidaire. Et plus encore durant les conflits sociaux ; en témoigne son travail chez Citroën en 1938. Après la guerre, il reprend le chemin des usines ou des mines. Ce sera Renault  et l'industrie textile en Alsace (1950) puis, un peu plus tard, les mines de Saint-Etienne (1958). Gueules noires ou fondeurs, forgerons ou tisserands… Pas de spectaculaire, mais un vibrant hommage au savoir-faire de ces hommes et de ces femmes, très souvent émouvants dans la précision, la maîtrise et l'humilité qui sont les leurs. Leur grandeur, finalement, même si les machines, les outils, les espaces peuvent avoir quelque chose d'inquiétant et d’oppressant. Pour appuyer sa démonstration, Willy Ronis n'hésite pas à se détourner d'une silhouette pour immortaliser la beauté, la perfection du résultat obtenu. Ainsi de ce voile de coton peigné tombant comme une chevelure, en cascade. Et dont on ne peut manquer de faire le rapprochement avec la tête baissée de cette femme aux cheveux blanchis ramassés en chignon, penchée sur son métier à tisser, les lunettes posées devant elles. Plus "divine" encore, cette composition qui met en scène quatre ouvriers de la forge, à l'usine Renault de Boulogne-Billancourt. L'image Willy Ronis, photographie, Jeu de Paume, Monnaie de Paris,
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exposition, rétrospective, biographie, parcours, carrière, oeuvreest très sombre, on devine le profil et les gestes de ces hommes sur lesquels tombe en oblique un faisceau de lumière qui, loin de les écraser, les apparente, ni plus ni moins, à des descendants de Vulcain. Comment d'ailleurs ne pas voir dans cette chorégraphie, un hommage à la force, à la puissance du collectif ? "Renault refusera cette image car pas assez flatteuse pour l'entreprise", dit (dans un sourire ?) Willy Ronis.

D'humour, le photographe n'est point dépourvu. Dès la première salle, on sourit. Devant le garnement à la baguette, devant les trois pingouins du cirque Pinder déambulant clopin-clopant dans l'allée d’un château où la caravane a installé ses roulottes (1956), devant ce bric-à-brac du marché aux puces ou sur les jambes d'un mannequin femme a été accroché un panneau précisant "Logement à louer" (1948) ou encore devant ce môme en train de se coiffer, raie sur le côté, devant la glace du porte-manteau, poing gauche serré et peigne édenté (1950). Mais c'est lors de son séjour dans l'ex-RDA en 1967, à la demande d’'ne association œuvrant à la réconciliation franco-allemande que Willy Ronis, sans doute plus distant de fait de son statut d'étranger, saisit ce qui très probablement le surprend - il faut se souvenir qu'à cette époque, l'Allemagne de l'Est est coupée du monde - et donc nous amuse rétrospectivement tout en nous renseignant sur ce qu'était la vie quotidienne dans ce pays. Un lot d'images qui, si elles ont fait l'objet de dizaines d'expositions en France entre 1968 et 1974, n'avaient plus été présentées depuis.

Peut-être est-ce une interprétation a fortiori, mais difficile de rester de marbre devant cette petite fille toisant de manière peu amène une autre enfant qui porte rigoureusement la même robe qu'elle, à cette nuance près que l'une a les bras dénudés tandis que l'autre, dans une version moins complètement estivale, arbore de petites manches. Titre de l’image : Karl-Marx Stadt, 1967. Berlin, mais aussi Dresde, Leipzig, et même les bords de la Baltique avec cette photographie prise à Warnemünde et titrée L'amateur de musique. Lequel est à peu près haut comme trois pommes, nu comme un ver et blond comme les blés. Il présente ses fesses potelées à l’objectif tandis que devant lui joue une fanfare sous une bannière proclamant "Internationale", en lettres capitales. Fait souvent ignoré, Willy Ronis est parfaitement polyglotte, ce dont témoignent ses nombreux voyages qui le conduisent à Moscou et Leningrad (1968), Prague (1967) où il rend hommage appuyé à l'expressionnisme de la MittelEuropa, Amsterdam (1954), Venise (1959), Londres (1955) où de toute évidence Willy Ronis, photographie, Jeu de Paume, Monnaie de Paris,
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exposition, rétrospective, biographie, parcours, carrière, oeuvreil fait meilleur autour d’une pinte que dans le London’s fog, et enfin New York dans les années 1980. De ce séjour outre-Atlantique, une image attire l'attention. Elle s'intitule Retour à la maison, 1981 : sur un trottoir, une très vieille et très petite dame, bibi sur la tête, sourire façon banane et sac plastique à la main où l'on peut lire "Zénith" (sic !), et qui de son autre main tente, semble-t-il, de jeter un courrier dans la boîte à lettres trop haute pour elle.

Retour à la maison… C'est ainsi que s'achève cette déambulation, à la manière de ces journées en plein air qui se terminent autour d'un verre et d'un souper léger, dans la cuisine, à papoter et égrainer des souvenirs. Willy Ronis nous invite à passer ces derniers instants de la visite auprès de ceux et celles qui ont vécu à ses côtés, épouse, fils de sa compagne, amis comme Robert Capa, Pablo Picasso, Jacques Prévert, Brassaï appliqué et concentré devant un flipper ou encore Sartre, de profil devant l'emblématique église de Saint-Germain des Prés. Partout mais plus encore dans le midi où il a acquis une maison dans les années 1940, il saisit tous les instants d'une vie ordinaire mais ensoleillée, banale mais d'une douceur infinie. C'est Vincent endormi (1946) totalement abandonné, à l'heure de la sieste, bouche entr'ouverte et édredon rejeté ; c’est Le chat surpris, Gordes (Vaucluse, 1951) dans la luxuriante végétation qui enserre la maison. Est-ce ce même chat noir dont on surprend le regard clair à travers le carreau d'une fenêtre coupée d’un barreau muni de chaque côté de pics figurant des demi-lunes, et dont l'une se calque sur le museau du chat, dessinant une bouche disproportionnée. On pense aux découpages de Matisse, et même aux tableaux du Douanier-Rousseau. Photographies d'intérieur ou photographies de l'extérieur, Willy Ronis ne traverse aucune frontière. Ici ou dehors, c'est toujours la même attention à l'être humain, la même compréhension. Devant les siens comme devant les inconnus, il cherche à percer le mystère du monde, épiant le geste qui le dévoilera. Ainsi en va-t-il également des nus à travers lesquels il tente d'élucider la question de l'harmonie des corps.

Cette quête explique sans doute en grande partie son inépuisable succès. Au même titre que sa profonde intégrité, celle d'un honnête homme qui jamais ne dévia de l'engagement à la fois politique et artistique qui fut le sien à ses débuts. "Il était sans concession, rappelle Stéphane Kovalsky. A la fin des années 1960, il a renoncé à collaborer avec les magazines américains parce qu'il n'avait pas la maîtrise des légendes de ses images. Or il a toujours tenu à les écrire lui-même. Ce qui explique qu'il n’ait plus travaillé sur les sujets sociaux." N'en déplaise à certaines de ses recommandations, Willy Ronis ne sera jamais surexposé.
 
Elisabeth Bouvet
Le 20/05/10
Willy Ronis, photographie, Jeu de Paume, Monnaie de Paris, photographie humaniste, Paris, centenaire, Gordes, Vaucluse, objectif, exposition, rétrospective, biographie, parcours, carrière, oeuvre
Willy Ronis, une poétique de l'engagement
, jusqu’au 22 août 2010
Monnaie de Paris
11 Quai de Conti
75006 Paris
Tlj (sf lun) : 11h-19h
Nocturne jeudi (21h30)
Plein Tarif : 7 €
Tarif réduit : 5 €
Rens. : 01 40 46 56 66

Pour aller plus loin : le catalogue de l’exposition
Une co-édition Monnaie de Paris et Jeu de Paume.
Prix : 35 €








 
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Crédits et légendes photos
Vignette sur la page d'accueil : Willy Ronis, Noël, boulevard Haussmann, 1952. Tirage argentique, 40 x 30 cm. Ministère de la culture et de la communication, Médiathèque de l'architecture et du patrimoine. Photo Willy RONIS © Ministère de la Culture et de la Communication
Photo 1 Willy Ronis, Richemont, 1959. Tirage argentique, 40 x 30 cm. Succession Willy Ronis, Ministère de la culture et de la communication & Stéphane Kovalsky. Photo Willy RONIS © Ministère de la Culture et de la Communication
Photo 2 Willy Ronis, Semaine de Noël, boulevard Haussmann, 1954. Tirage argentique, 27 x 40 cm. Succession Willy Ronis, Ministère de la culture et de la communication & Stéphane Kovalsky. Photo Willy RONIS © Ministère de la Culture et de la Communication
Photo 3 Willy Ronis, Nu au tricot rayé, Paris, 1970. Tirage argentique, 30 x 40 cm. Ministère de la culture et de la communication, Médiathèque de l'architecture et du patrimoine. Photo Willy RONIS © Ministère de la Culture et de la Communication
Photo 4 Willy Ronis, Schaeffer, Mulhouse, 1946. Tirage argentique, 50 x 40 cm. Succession Willy Ronis, Ministère de la culture et de la communication & Stéphane Kovalsky. Photo Willy RONIS © Ministère de la Culture et de la Communication
Photo 5 Affiche de l'exposition : Willy Ronis, Le Nu provençal, Gordes (Vaucluse), 1949 © Ministère de la Culture et de la Communication