L`Intermède
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Jusqu'au 12 septembre, le réalisateur japonais Takeshi Kitano entreprend de faire retomber les Parisiens en enfance en profitant de la liberté que lui offre l'espace dédié à l'art contemporain de la Fondation Cartier. Mêlant absurde, loufoquerie, grand-guignol et sens tordu de la logique, l'exposition dresse le portrait d'un artiste touche-à-tout.
 
Takeshi Kitano et son double Beat Takeshi Kitano ont les honneurs de l'Hexagone en ce premier semestre 2010, avec la parution le 27 février dernier d'un livre d'entretiens (Takeshi Kitano, Kitano par Takeshi de Michel Temman) puis la sortie le 10 mars de son film, Achille et la tortue, final d'une trilogie introspective sur le thème de l'artiste, ainsi que la rétrospective de ses films jusqu'au 26 juin au Centre Pompidou. C'est dans ce contexte que s'inscrit l'exposition à la Fondation Cartier. Atout de taille du projet, Takeshi Kitano a reçu, comme le précise Hervé Chandès, directeur général de la Fondation, "carte blanche" pour concevoir l'exposition.
 
Si, en Europe, Kitano est principalement connu en tant que cinéaste, certains ont pu observer son travail de présentateur voire de concepteur de jeux télévisés dans Takeshi's castle, sur une chaîne de la TNT. D'emblée se pose l'ambiguïté du personnage, à la fois réalisateur branché et référence du cinéma d'auteur japonais, et présentateur télévisé aux prises avec des émissions que l'intelligentia culturelle aurait peut-être honte d'avouer Beat Takeshi Kitano, Takeshi Kitano, Gosse de peintre,
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animateur de télévision, enfance, peinture, installationsregarder. Kitano y tient en effet le rôle d'un clown, d'un comique qui s'amuse à faire se rouler dans la boue ou tomber d'un rouleau géant des candidats consentants. C'est ce pendant du personnage que connaissent surtout les Japonais, étonnés de constater le pouvoir et la reconnaissance artistique que lui confère la France avec cette exposition. Lors de la conférence de presse inaugurant l'événement, des journalistes japonais lui demandaient s'il n'avait pas peur d'abimer sa réputation d'intellectuel en présentant à la Fondation Cartier cette autre facette de son travail. Mais c'est mal connaître l'artiste et son oeuvre. Car avec Kitano, même s'il admet avoir conçu l'exposition "pour des enfants" et "chercher à faire rire, divertir, faire plaisir sans aller plus loin", il faut toujours se méfier des apparences.

Avant même d'entrer dans les salles très élégantes de la Fondation Cartier sont collés en transparence sur les vitres des tableaux de l'artiste japonais. Le message est clair : tout n'est qu'illusion, il faudra aller au-delà du visible, enjamber la transparence et l'apparence ludique et accessible des oeuvres présentées. Car tout est pensé, réfléchi par Kitano, et les messages, parfois évidents, parfois plus subtils, se cachent au milieu des pièces inventées par l'artiste et conçues par des designers et des artisans. A commencer par son intimité, qui se découvre au fil du parcours. Et même dès le titre de l'exposition : Gosse de peintre, écho au caractère plaisantin des oeuvres, évoque surtout le père de Kitano, peintre en bâtiment devenu ouvrier et non artisan reconnu après la guerre, et qui n'a jamais supporté le mépris généré par sa profession. Marqué par ce parent alcoolique et violent, et par les insultes que lui-même recevait à propos de ce dernier, c'est une forme de reconnaissance que Kitano semble lui exprimer ici.

Beat Takeshi Kitano,
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installationsCe sont les différentes pièces d'un autoportrait en puzzle bariolé qui s'emboîtent les unes dans les autres, à l'instar de ces tableaux évoquant la période où Kitano appartenait à un duo comique au début de sa carrière, Two Beat, ou encore des vidéos de certains de ses sketchs. L'artiste cherche également à renouer avec les symboles du Japon, en se faisant animer un véritable théâtre de marionnettes O-Edo au milieu de l'exposition. De petites statuettes, les daruma, évoquant le fondateur éponyme du zen, sont disposées comme une guirlande au-dessus des têtes des spectateurs. Représentant les visiteurs, elles ont pour rôle de signifier l'incapacité de comprendre et la reddition totale de ces derniers face à ce qu'ils observent...! L'engagement politique n'est pas absent non plus : comment ne pas voir la dénonciation de l'emprise de la technologie scientifique sur la nature dans ces poissons qui s'ouvrent pour dévoiler non pas de la chair en filets mais des sushis tout prêts, ou encore le plaidoyer contre la peine de mort que constitue la colossale installation Le premier criminel japonais à avoir réchappé à la mort par pendaison, offrant le spectacle d'un mannequin, suspendu dans le vide au centre d'un échafaud n'ayant pas eu la nuque brisée par la corde puisqu'il l'agrippe un peu plus haut à la force de ses dents ?
 
Absurde et surréaliste, Kitano cherche aussi à provoquer la surprise, comme avec ces petites statuettes dont on peut lire qu'elles sont exhumées "du tertre funéraire d'Umejima". Soit des objets d'art sacrés et anciens - trois motifs légitimes de respect et d'admiration. Mais c'est bien la farce qui semble encore l'emporter : une des statuettes, par un mécanisme très discret, se brise soudain. Chez Kitano, rien n'est intouchable, tout peut être et doit être remis en question. Même l'art, avec cette machine baptisée "Monsieur Pollock" et qui permet de fabriquer artisanalement des tableaux dignes du maître. De plus, si tout doit être remis en question, c'est qu'il Beat Takeshi Kitano,
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installationss'agit ici d'user d'éléments scientifiques pour mieux souligner l'importance du hasard dans la marche du monde et donc d'en distinguer l'absurdité. Tout n'est qu'une vaste plaisanterie, comme le souligne l'installation les Probabilités du hasard. 
 
Des pistolets à couleurs sont à disposition du public pour répondre à la proposition inscrite sur un mur : "De quelle couleur étaient les dinosaures? Personne ne le sait. Alors repeins-les avec tes couleurs préférées." Dans cette fête foraine de la Fondation Cartier, avec baraque à gaufres dans le jardin, les couleurs, dans les installations comme dans les toiles, ainsi que les matières et les éléments détonnent par leur variété. D'étranges créatures comme la carpe mante-religieuse ou la girafe-poisson sabre, des vases-animaux, dont le corps représente un lion, un toucan, mais dont les têtes sont remplacées par les fleurs qu'ils doivent contenir... Tout s'hybride, se mue, se mélange. A l'image de Kitano, comme le suggère la salle intitulée "Le vrai métier de Takeshi Kitano" où sont projetées, outre des vidéos de sketchs japonais, des images de l'artiste avec les divers déguisements qu'il a portés lors de shows télévisés et les véritables bonnets dont il s'était alors coiffé. Un pitre imperturbable.
 
Ombeline Orlowski
Le 08/05/10
 

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Gosse de peintre, Beat Takeshi Kitano
, jusqu'au 12 septembre 2010
Fondation Cartier
261 bd Raspail
75014  Paris
Tlj (sf lun) 11h - 20h
Nocturne Mardi (22h)
Tarif plein : 7,5 €
Tarif réduit : 5 €
Rens. : 01 42 18 56 50 









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Crédits et légendes photos
Vignette sur la page d'accueil : Beat Takeshi Kitano, 2010 "Qui es-tu, toi qui me regardes?!" © Office Kitano Inc. Photo Grégoire Eloy
Photo 1 Beat Takeshi Kitano, 2010 "Hideyoshi", machine à coudre modèle Kitano © Office Kitano Inc. Photo Grégoire Eloy
Photo 2 Beat Takeshi Kitano, 2008, Acrylique sur toile, 100 x 80 cm © Office Kitano Inc.
Photo 3 Beat Takeshi Kitano, 2010 "Les raisons de l'extinction des dinosaures mises à jour par de nouvelles découvertes scientifiques" © Office Kitano Inc. Photo Grégoire Eloy
Photo 4 Beat Takeshi Kitano, 2010 (hippopotame-poisson ranchû), © Office Kitano Inc. Photo Yoshinaga Yasuaki
Photo 5 dessin préparatoire de l'exposition © Office Kitano Inc.