L`Intermède
Feininger, peinture, expressionnisme, cubisme, Andreas, photographie allemande, photographie américaine, Braque, Picasso, lyonel feininger, exposition, portrait, biographie, histoire, parcours, berlinLa métaphysique des prismes
Destin peu banal que celui de Lyonel Feininger (1871-1956) : caricaturiste précoce, peintre à 36 ans et photographe à l'heure où beaucoup prennent leur retraite, l'Américain s'est frotté avec succès à toutes les disciplines. Aquarelles, caricatures, photographies et toiles de peinture : une oeuvre multiforme jaillie de la lumière s'expose au Kulturforum de Berlin, en partenariat avec le Harvard Museum.


Si son oeuvre a marqué la peinture du XXe siècle, ce n'est pourtant qu'assez tard que Lyonel Feininger prend sérieusement les pinceaux, après avoir manié le crayon de caricaturiste pendant plusieurs années. De ses caricatures et illustrations antérieures, Feininger garde longtemps la curieuse habitude de représenter les humains en longueur, une tête réduite à peu de chose, et aussi ce regard attentif aux mille et une trépidations de la vie moderne. A Paris, le mouvement cubiste initié par Pablo Picasso et Georges Braque met la scène artistique parisienne en branle. Courte moustache et favoris, l'élégant jeune homme fait escale dans la capitale française pour ce qui deviendra un séjour de plusieurs années. En compagnie de son ami Robert Delauney, il découvre une nouvelle façon de représenter le monde qu'il reprend rapidement à son compte : inspiré par l'art africain, dans une poussée d'anti-naturalisme radical, Picasso et ses émules décomposent les formes pour assembler en agrégats de formes volumineuses aux arrêtes tranchées. Géométrisation des villages de Thuringe qu'il traverse au gré de ses pérégrinations, fracturation des figures humaines et couleurs vives, sans fidélité aucune à l'objet représenté, l'inspiration du mouvement initié par Picasso et Braque se superpose au style premier du jeune américain.

Pourtant, Feininger rejette une étiquette que beaucoup lui accolent sans tarder. "Mon 'cubisme', pour employer ce mot inadéquat, mon but étant le contraire de celui des cubistes français, est fondé sur le principe du monumental, de la plus extrême concentration de mes visions. Mon cubisme, appelez-le plutôt - s'il doit avoir un nom - prism-isme." Là où le cubisme privilégie les couleurs denses et opaques, Feininger travaille la lumière avec une délicatesse croissante - en reprochant d'ailleurs à Delauney de ne pas comprendre la couleur. Une lumière qui ne quitte plus, désormais, le centre de son attention et de sa recherche, jusqu'à structurer la composition de ses toiles. La consécration : l'épiphanie de l'oiseau diaphane dans le ciel azuré de Vandervogel (1926).

Feininger, peinture, expressionnisme, cubisme, Andreas, photographie allemande, photographie américaine, Braque, Picasso, lyonel feininger, exposition, portrait, biographie, histoire, parcours, berlinA rebours de la tendance cubiste au compact, au volume, Feininger se met donc en quête de limpidité. Clarté tranquille des voiliers qu'il peint et repeint inlassablement sur les flots de la mer Baltique. Sa peinture, dès lors, présente ce curieux mais harmonieux télescopage de traditions et de thèmes au premier abord peu compatibles. Bien que tout désignés pour cela, ce ne sont pas les parallélépipèdes new yorkais qui font l'objet de ses toiles géométriques, mais les villages séculaires de Thuringe, avec tous les éléments de la représentation traditionnelle, clocher au premier plan.  Après quelques hésitations - toiles peintes à la manière cubiste avec couleurs tranchées et denses - il trouve un langage à son goût, et n'a de cesse de l'approfondir. En superposant des triangles de tailles et couleurs variées, le peintre dessine un monde de dynamisme et de lumière. Il s'essaye progressivement à de nouvelles techniques. Pour parvenir à une légèreté encore plus grande, il trace quelques linéaments à l'encre qu'il recouvre ensuite d'aplats d'aquarelle. Une technique à l'origine de certaines de ses plus belles images, comme ce bateau qui surgit des flots nimbé d'une lumière bleutée.

Dans sa recherche effrenée d'une représentation nouvelle, son travail confine à l'abstraction. Et c'est dans l'entre-deux que l'imagination trouve un puissant stimulant. Feininger fait partie de ces peintres qui sont toujours restés à l'affût des nouvelles grammaires plastiques. Quand naît le Bauhaus sous l'impulsion de Walter Gropius, il se précipite pour rejoindre le mouvement, dont il devient l'un des premiers précepteurs. C'est d'ailleurs l'une de ses gravures qui forme le frontispice du programme du mouvement : une cathédrale, surmontée de bois en forme d'étoile. La possibilité d'une utopie. Nommé professeur, il montre assez vite son ennui pour la tâche didactique et s'investit dans la création d'un atelier de gravure au sein du Bauhaus, jusqu'à la dissolution du mouvement en Allemagne par le parti nazi. Les autorités du IIIe Reich n'ont guère plus apprécié, du reste, la représentation donnée par Feininger du climat sombre des années Weimar, avec ses constructions distordues et ses passants errants, le corps violenté sur la toile. Lyonel Feininger doit reprendre le chemin de New York, où il poursuit son travail de photographe.

Feininger, peinture, expressionnisme, cubisme, Andreas, photographie allemande, photographie américaine, Braque, Picasso, lyonel feininger, exposition, portrait, biographie, histoire, parcours, berlinLui qui découvre le négatif avec le mouvement Bauhaus se distingue néanmoins par l'emploi qu'il fait de l'appareil photographique. Surmontant ses premières résistances, il saisit très vite - à presque 60 ans - les potentialités de l'objectif : "Dessau prend un visage tout à fait nouveau ; depuis que je sors toujours avec mon appareil, mes sens se sont aiguisés." Fidèle à son caractère, il expérimente : impression en négatif, jeu sur les sources de lumières... Le campus de la Bauhaus fournit un excellent terrain d'expérimentation pour un artiste aussi obsédé par  la dynamique des formes. Au dessin déjà géométrisé des bâtiments dessinés par les disciples de Walter Gropius, il ajoute sa propre formalisation, à l'aide d'angles peu communs et focales inédites.

Il faut dire que, né dans une famille d'artistes, Lyonel Feininger a eu tout au long de sa vie une capacité rare à passer facilement d'une discipline à l'autre, d'un genre à l'autre. Il est notamment l'un des premiers dessinateurs de bande-dessinée. Car s'il est venu tard à la peinture, il avait déjà travaillé un sens de la composition et de l'image dynamique dans ses comic-strips. Pendant les premiers mois de l'année 1906, ses planches agrémentent les colonnes du Chicago Tribune : The Kin-der-kids, ou l'histoire colorée de petits bonshommes trimbalés  dans leur sous-marin rouge chaque dimanche pour vivre des péripéties rocambolesques. Daniel Webster, à l'allure de médecin à la Rembrandt, Pie-Mouth qui dévore plus vite que son ombre et le musculeux Strenuous Teddy affrontent des personnages expressifs et bigarrés. Quoique l'aventure se soit rapidement cessée - essentiellement pour mésentente et parce qu'il supporte mal la contrainte du rythme de publication -, Feininger s'est toujours revendiqué de la bande dessinée, de la simplicité (apparente) de son regard sur le monde. Une innocence du regard qu'il admire particulièrement chez son ami Paul Klee, avec qui il fonde un quartet de peintre, Der Blauen Vier, en 1913. C'est que toute sa vie, au-delà des années sombres du XXe  siècle et de son exclusion par les nazis, Feininger a revendiqué ce principe : regarder le monde avec des yeux toujours neufs.

Augustin Fontanier, à Berlin
Le 02/05/11

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Feininger aus Harvard. Zeichnungen, Aquarelle und Fotografien
, jusqu'au 15 mai 2011

Sonderausstellungshallen Kulturforum
Matthäikirchplatz
10785 Berlin
Tlj (sf lun) : 10h-18h
Tarif plein : 8€
Tarif réduit : 4€









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