L`Intermède
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Du tragique au magique
En 2012, le palais de South Kensington, aux confins de Hyde Park à Londres, se dressera dans toute sa splendeur, après avoir englouti les 12 millions de livres sterling nécessaires à son ample rénovation. Entre-temps, le public peut découvrir les drapes de passion, candélabres de désespoir, dalles de tristesse, tableaux de réjouissances et lustres de gloire qui ont fait la matière de cette ancienne résidence royale, et qu'une poignée d'artistes de renom célèbrent à leur façon. Le South Kensington Palace devient, l'espace de quelques mois, un "Enchanted palace".
 
Lorsque la princesse exhale son dernier soupire après cinquante heures de labeur, les mains crispées sur le nouveau-né déjà éteint, tout Londres s'endeuille au point de manquer de toile noire. Unique enfant de George IV, Charlotte est née vingt ans plus tôt, en 1796, de l'union de son père avec Caroline de Brunswick Wolfenbüttel qu'il a accepté d'épouser à contre-coeur, animé par le seul souci financier. Dès sa naissance, elle est victime de l'affrontement entre ses parents, le roi ne concédant à sa femme qu'une courte visite quotidienne auprès de Charlotte. Alors que George IV porte encore un intérêt certain à son héritière les premières années, il s'en détourne progressivement, se contentant de veiller de loin à une éducation stricte, peu affectueuse. exposition, enchanted palace, londres, london, mode, designer, robe, origami, design, South Kensignton Palace, Hyde Park, George IV, Caroline de Brunswick Wolfenbttel, Princesse Charlotte, ToriesQuelques années plus tard, Charlotte est une enfant rebelle, adulée de tous, contrairement à son père, attaqué notamment pour son soutien inconditionnel au parti des conservateurs, les Tories. Pas étonnant, donc, que Vivienne Westwood, âme irrévérencieuse de la mode britannique et l'une des six designers ayant accepté de se laisser inspirer par l'histoire du palais pour le redécorer, consacre une robe élancée, aux couleurs vives, à la mémoire de la princesse tôt disparue. Le jaune, l'orange et le bleu se mêlent à une infinité de points noirs, créant un motif indistinct sur cette robe au décolleté plongeant qui semble prête à s'élancer dans le grand escalier de réception, occupée par une étrange présence vide puisque, malgré l'absence de mannequin pour la soutenir, elle trouve ses formes, comme par enchantement.
 
Juste au-dessus trône une représentation grandeur nature de Georges Ier, entouré de son page polonais, ses servants turcs, sa garde écossaise, son coiffeur privé, quelques maîtresses... mais à peine a-t-on le temps d'accorder un regard à chaque personnage qu'un "détecteur de changement" se manifeste. Habillé d'un costume futuriste gris, une torche plantée sur le crâne et un appareil inconnu à la main, le détecteur s'affaire à mesurer les changements intervenus depuis qu'il habite le palais, c'est-à-dire depuis 1689, année durant laquelle William III et Mary II transforment cette maison de campagne en résidence royale pour échapper à Whitehall, situé au coeur de Londres. Arrêté dans sa course, le détecteur est enchanté de pouvoir conter tous les potins qui ont circulé exposition, enchanted palace, londres, london, mode, designer, robe, origami, design, South Kensignton Palace, Hyde Park, George IV, Caroline de Brunswick Wolfenbttel, Princesse Charlotte, Toriesces dernières centaines d'années et de confier discrètement qu'en réalité il est un membre de la troupe Wildworks, chargée de revisiter l'histoire des habitants du palais où la reine Victoria a fait ses premiers pas, et où Diana, Princesse de Galles, a joué avec ses enfants.
 
La visite historique, plutôt que d'aligner les dates qui ont marqué les générations de monarques britanniques, se pare alors de ses plus beaux atours. Originaire du Cornwall, dans le Sud-Ouest de l'île britannique, la troupe internationale d'acteurs invitée est spécialisée dans l'animation de lieux inattendus : mine désaffectée, port, sites historiques en tout genre. Ce qui intéresse l'ensemble théâtrale est de rendre le lieu vivant et palpable, de restituer son potentiel narratif. Dans la salle d'audiences royales, Wildworks promet ainsi d'exaucer le voeu de celui qui ose se faire roi le temps de s'asseoir sur le trône recouvert d'un tissu coloré soigneusement brodé par la communauté locale de Kensington. Plus loin, ce qui s'apparente à une gigantesque reconstitution du jeu de société Risk avec quelques centaines de soldats miniatures consciencieusement agencés se reflète dans le miroir qui termine la galerie de guerre et de paix où William III (1650-1702) jouait avec son neveu. Ou encore, dans la salle intitulée "la chambre d'une enfance perdue", des paires de petits souliers marrons reposent dans de fragiles vitrines, symboles de ces enfants royaux tôt retirés à leurs parents pour être prêts quand l'heure de monter sur le trône arrive. La reine Victoria (1819-1901) en est un parfait exemple.

La mort de la Princesse Charlotte, exposition, enchanted palace, londres, london, mode, designer, robe, origami, design, South Kensignton Palace, Hyde Park, George IV, Caroline de Brunswick Wolfenbttel, Princesse Charlotte, Toriesfille unique de Georges IV, déclenche une course au mariage parmi les frères de ce dernier. Finalement, la femme du Prince de Kent, le troisième frère de Georges IV, donne naissance en 1819 à Victoria Alexandrina, qui devient la seule prétendante légitime à la couronne britannique lorsque son oncle meurt en 1830. En attendant que Victoria atteigne la majorité, son autre oncle William IV (1765-1837) monte sur le trône. La nouvelle de la mort de ce dernier en 1837 est apportée à Victoria dans sa chambre d'enfance à Kensington. Le couturier britannique William Tempest a passé beaucoup de temps dans cette chambre pour s'imprégner de l'enfance recluse de la jeune Victoria, isolée des autres enfants, estimés indignes de sa compagnie. Victoria a elle-même qualifié son enfance de mélancolique, ses cent trente-deux poupées étant la seule distraction dans le fameux système de Kensington, un ensemble de règles et de protocoles instaurés par sa mère pour limiter les interactions avec l'extérieur. La superposition de matelas sur le lit d'enfant n'est pas sans rappeler la sur-protection infligée à la princesse au petit pois.

Pour sa robe d'origamis, William Tempest s'inspire du moment de libération qu'a dû être l'annonce de la mort de William III pour Victoria, scellant son accession au trône. La reine a d'ailleurs été la première régente à s'installer au Palais de Buckingham, laissant derrière elle les souvenirs sombres que lui inspirait Kensington et refusant de voir sa mère. Captivé par un conte japonais ancien expliquant que, si une personne plie un exposition, enchanted palace, londres, london, mode, designer, robe, origami, design, South Kensignton Palace, Hyde Park, George IV, Caroline de Brunswick Wolfenbttel, Princesse Charlotte, Toriesmillier d'oiseaux en papier (origami), elle verra son voeu se réaliser, Tempest a baptisé sa création Une robe pour rêver de liberté. La tenue semble s'échapper du papier peint de la chambre : du mur vert pistache, arborant des milliers de créatures ailées, l'essaim gigantesque d'oiseaux de papier prend son envol, suspendant la robe dans les airs. Tout aussi volantes sont les créations de Stephen Jones, le fameux chapelier de l'actuelle reine Elizabeth II. Dans la "salle des Lumières", ses orgies de plumes, faux cristaux, fleurs artificielles et rubans pastels virevoltent tels des idées au-dessus de bustes solennels de scientifiques et philosophes chéris par Caroline de Brandenburg-Ansbach (1683-1737), épouse du Roi George III. Fidèle correspondante de Gottfried Leibniz, la Reine Caroline vénérait également Isaac Newton, célébré affectueusement par Stephen Jones à l'aide d'un serre-tête doté d'une pomme de paillettes rouges.

Plus loin, le passage du temps est mis à l'épreuve dans la Salle de l'horloge, où des commandes spéciales furent autrefois passées auprès de Handel, Corelli ou Geminiani pour signaler l'heure en musique. Soucieux de créer des oeuvres ambiguës et inclassifiables entre sculptures, robes et simple décoration, les créateurs de Boudicca associent les mécanismes horlogers à ceux qui ordonnaient les costumes aristocrates au XVIIIe siècle. Accrochés aux lustres de la salle, des bustes de mannequins sont habillés d'une mécanique éclatée, torsades tantôt dorées, tantôt argentées mais toujours majestueuses, intrigantes et atemporelles, à l'image des destinées qui se sont jouées ici. Car loin des cartels évoquant froidement des faits désincarnés, Enchanted Palace expose des oeuvres d'art exprimant avec une délicatesse magique les drames humains qui se sont déroulés derrière les haies de rosiers blancs.
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A ce titre, l'arbre déraciné au tronc morne dans La pièce de tous les débuts représente subtilement l'angoisse constante de disparaître qui faisait trembler chaque génération de la lignée royale. Pointant vers La chambre des chagrins, l'arbre montre le chemin vers la chambre de la reine Mary II (1662-1694) et de sa soeur Anne, toutes deux privées du plaisir d'élever des enfants. Alors que la reine a souffert trois fausses couches, sa soeur a mis au monde dix-huit enfants, dont un seul a survécu à l'enfance, avant de mourir à l'âge de onze ans. C'est ce mélange tragique d'espoir, de persistance et de tristesse profonde émanant de la chambre qui a inspiré au couple d'artistes Aminaka Wilmont un mannequin en papier mâché suspendu à l'aide de longs tissus au-dessus du lit royal. Images de gouttes de pluie s'écoulant sur une fenêtre et agrandissements de fumée engloutissent des représentations de nouveaux-nés en transparence sur les tissus. Face au lit, posée sur la coiffeuse, une collection de fioles éclairée par une lumière pâle et diffuse. Chacune ornée d'une petite carte indiquant le jour et la raison pour laquelle des larmes se sont écoulées, ces fioles rappellent une pratique ancienne selon laquelle on recueillait ses larmes dans un bocal fermé par un bouchon percé. On pensait que le chagrin se dissipait à mesure que les larmes s'évaporaient.
 
Asmara Klein, à Londres
Le 22/08/10

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Enchanted Palace

South Kensington Palace
Hyde Park
Londres
Tlj 10h-18h
A partir du 31 octobre 10h-17h
Tarif plein : £12,5
Tarif réduit : £11
Moins de 16 ans : £6,25
Rens. : +44 2031666000

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Crédits et légendes photographiques :
Vignette de la page d'accueil et photo 4 : Fashion designer William Tempest's 'A Dress for Dreaming of Freedom', his installation for the Enchanted Palace exhibition at Kensington Palace. © Richard Lea-Hair / newsteam.co.uk
Photo 1 Illustrator and set designer Echo Morgan adjusts her installation - a 'dress of the world'. © Richard Lea-Hair / newsteam.co.uk
Photo 2 A piece created by Angela Singer for Echo Morgan's cabinet of curiosities in the Enchanted Palace at Kensington Palace. © Richard Lea-Hair / newsteam.co.uk
Photo 3 Hundreds of toy soldiers line up to guard the Enchanted Palace exhibition at Kensington Palace. © Richard Lea-Hair / newsteam.co.uk
Photo 5 Part of Boudicca's installation, 'a dress the colour of time' on display in the Cupola Room as part of the Enchanted Palace exhibition. © Richard Lea-Hair / newsteam.co.uk
Photo 6 Fashion designers Aminaka Wilmont's (Maki Aminaka and Marcus Wilmont) 'dress of tears' created for Queen Mary's bedroom as part of the Enchanted Palace exhibition at Kensington Palace. © Richard Lea-Hair / newsteam.co.uk
Photo 7 A member of the WILDWORKS theatre company puts the final touches to a miniature model of Kensington Palace. © Lawrence Looi / HRP newsteam.co.uk