L`Intermède
De la scène au tableau exposition musée Cantini Marseille peinture toiles représentation arts de la scène théâtre opéra fssli david blake delacroix moreau ingres néo-classicisme romantisme réalismeL'art vivant à l'arrêt
Depuis le 6 octobre, le musée Cantini a levé le rideau sur une exposition majeure de la rentrée, De la Scène au tableau. Plus de soixante-dix institutions, dont les musées les plus prestigieux du monde (Tate et British Museum à Londres ; The Metropolitan of Modern Art de New York ; le Musée d’Etat de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg ; le Kunsthaus Zürich…), ont prêté au musée marseillais quelque deux-cents toiles sur le thème de la représentation des arts de la scène en peinture. Retour sur une pratique qui a couru durant deux siècles.


Ces oeuvres des maîtres de l’histoire de l’art des XVIIIe et XIXe siècles (Füssli, David, Blake, Delacroix, Moreau, Degas…) ont pris la place de l’ensemble des collections permanentes du musée (période 1900-1960). Certains regrettent que l'exposition prenne place dans la cité phocéenne, et cela malgré la forte participation du musée d’Orsay, dont le président Guy Cogeval a suivi la direction de l’exposition. Cependant, après Ingres et les Modernes au musée Ingres de Montauban, on peut se réjouir de voir que les musées de province s’inscrivent de plein pied dans le milieu muséal mondial, montrant ainsi leur capacité à rivaliser face à des institutions parisiennes éminentes.

De la scène au tableau exposition musée Cantini Marseille peinture toiles représentation arts de la scène théâtre opéra fssli david blake delacroix moreau ingres néo-classicisme romantisme réalismePrologue
L’action se déroule dans un hôtel particulier de la fin du XVIIe siècle, proche de la Cannebière et du Vieux-Port. Le décor est sobre : de hauts panneaux rouges vifs, bleu nuit et vert gris, un mobilier quasi inexistant. Les "Actes" II, III et IV, terminologie désignant les différentes parties de l'exposition, sont répartis entre le rez-de-chaussée et les deux étages de la maison, et se mélangent parfois difficilement, entachant la fluidité de la visite. Les cartels explicatifs sont généralement à l’entrée de la pièce - ce qui permet une bonne introduction à ce qui suit - mais il arrive qu’ils soient situés à la sortie de la salle, ce qui peut laisser le spectateur dans l’incertitude : outre le thème abordé, sommes-nous bien dans la continuité du propos ? Certes, la multitude de pièces en enfilade de l’hôtel particulier ne facilite pas le parcours, mais la scénographie aurait gagné à être plus claire. Pourquoi ne pas avoir garder la même couleur de cimaises pour chaque acte ? Pourquoi n’avoir pas marqué davantage le sens de la visite ?

Autre dommage de la mise en scène : l’éclairage des grandes peintures des Actes I et II est trop direct et violent. Même si les spots sont recouverts d’un papier protecteur pour baisser l’intensité de la lumière, les faisceaux sont trop épais, ce qui oblige à jouer avec les reflets sur la toile, à faire des va-et-vient pour contempler la scène dans son ensemble sans zone d’ombre.
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Acte I : le retour à l’Antique et la gestuelle théâtrale
L’exposition s'interroge sur les influences que le théâtre et l’opéra ont eu / pu avoir sur la peinture du XVIIIe et XIXe siècle. Pour y répondre, les commissaires ont divisé leur propos en quatre actes chronologiques. Le premier est consacré au néo-classicisme. Marquant le retour à l’Antique, les premières campagnes de fouilles des sites de Pompéi et d’Herculanum dans les années 1750 accompagnent l’émergence d’un nouveau mouvement artistique à Rome. Le néo-classicisme est basé sur les inspirations de la Rome antique: les artistes recherchent la perfection, les figures mythologiques sont très présentes. Peintres d’histoire, Jacques-Louis David et Anne-Louis Girodet théâtralisent le drame dans leurs toiles gigantesques. Les scènes se passent dans des temples, au milieu de la campagne romaine. Les protagonistes sont d’un autre temps : Andromaque, Phèdre, Horace, Iphigénie, Cléopâtre… Les sentiments sont retranscris par le mouvement, l’attitude et le geste des personnages : bras grands ouverts et élancés vers l’autre (Alexandre le Grand devant le lit de mort de la femme de Darius de David), des visages meurtris (Le Serment des Horaces, également de David), des personnages agenouillés suppliants (Andromaque de Girodet)… Le spectateur est associé aux douleurs des personnages.

Acte II : la Comédie shakespearienne et l’histoire théâtralisée
Cette grandiloquence de la gestuelle se retrouve dans le romantisme, à la fois dans l’école anglaise (Füssli, Blake…) et française (Ingres, Delaroche…) au début du XIXe siècle. La découverte notamment de l’œuvre de Shakespeare offre aux artistes de nouveDe la scène au tableau exposition musée Cantini Marseille peinture toiles représentation arts de la scène théâtre opéra fssli david blake delacroix moreau ingres néo-classicisme romantisme réalismeaux personnages à mettre en scène, à l'instar de Macbeth ou Richard III. Les douze dessins de Füssli, montrant des épisodes tourmentés d’inspiration shakespearienne - principalement tirés d’Hamlet -, est le plus bel ensemble de cette exposition. Dorénavant, nous ne sommes plus à Rome au milieu de ruines mais dans des jardins et rues contemporaines. Les toges romaines ont laissé place aux tenues de Cour. Ingres et Delaroche théâtralisent l’Histoire - François Ier reçoit les derniers soupirs de Léonard de Vinci chez le premier, Jeanne d’Arc malade est interrogée dans sa prison par le cardinal de Winchester chez le second. On pleure les corps enlacés de Paolo et de Francesca de Dante chez Gaetano Previati et Alexandre Cabanel, ou celui d’un arlequin tué lors d’un combat singulier à l’épée, qui gît dans la neige, tout de blanc vêtu - Sortie du bal masqué de Jean-Léon Gérôme). On assiste à une véritable mise en scène de mélodrames. De nombreuses œuvres d’Eugène Delacroix représentent également des personnages du dramaturge anglais, comme Hamlet et Lady Macbeth. Nous ne sommes plus dans l’Histoire mais dans la représentation : les personnages sont sur scène, au théâtre. Delacroix n’utilise plus les codes liés à la théâtralité, il montre le théâtre et intègre donc le dialogue avec le spectateur.

De la scène au tableau exposition musée Cantini Marseille peinture toiles représentation arts de la scène théâtre opéra fssli david blake delacroix moreau ingres néo-classicisme romantisme réalismeActe III : la déconstruction de l’espace scénique
Au XIXe siècle, l’apparition de la photographie influence les peintres, qui tendent vers plus de réalisme. Degas et Daumier nous font quitter la scène pour les loges des spectateurs (Pauline et Virginie bavardant avec des admirateurs pour le premier), pour la fosse d’orchestre (L’Orchestre durant la représentation d’une tragédie pour le second), pour les coulisses. Ils s’intéressent à ce qui se passe autour de la pièce, nous montrent l’endroit et l’envers du décor. La photographie incite les peintres à s’essayer à de nouveaux cadrages. Les scènes ne sont plus frontales ; le point de vue vient désormais de l’arrière de la scène, des balcons, comme dans L’Opéra de Vayron, mais aussi des côtés cour et jardin… Les protagonistes ne sont plus seulement les comédiens ou les personnages historiques : les musiciens ainsi que les spectateurs apparaissent dans la toile ; ils dominent souvent la scène pour reléguer au rang de décor l’opéra, comme dans Musiciens à l’orchestre de Degas, ou la pièce de théâtre - Le Charivari de Daumier.


Acte IV : la disparation du lieu scénique
A la fin du XIXe siècle, Adolphe Apia, décorateur et metteur en scène suisse, est célèbre pour ses conceptions de l’espace au théâtre. A peine âgé de vingt ans, il se passionne pour l’œuvre musical de Wagner ; il met en scène et créé des décors pour L'Anneau De la scène au tableau exposition musée Cantini Marseille peinture toiles représentation arts de la scène théâtre opéra fssli david blake delacroix moreau ingres néo-classicisme romantisme réalismedu Nibelung, Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg et Tristan et Isolde. Les premiers plans sont totalement dégagés afin de laisser une surface importante pour le jeu d’acteur, alors que le fond est d’une monumentalité nouvelle, comme le montre les toiles Parsifal et L’Ombre du cyprès. La mise en scène est fondée sur et autour de l’acteur. Avec l’introduction de l’éclairage électrique au théâtre, Apia intègre dans ses dessins, et donc dans ces mises en scène, la lumière et le jeu d’ombres. Il donne ainsi vie aux volumes, créé des reliefs et des profondeurs, jusque là impossible avec l’éclairage à la bougie ou aux chandelles.
 
Damien Thomasse
Le 02/11/09
De la scène au tableau, jusqu'au 3 janvier 2010
Musée Cantini
19 rue Grignan
13006 Marseille
Tlj sauf lundi : 10-19 h
Nocturne le vend. (22h)
Tarif Plein : 8 €
Tarif réduit : 6 €
Rens. : 04 91 54 77 75




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Crédits et légendes photos
Vignette sur la page d'accueil : Gaetano Previati, Paolo et Francesca, 1887 - Accademia Carrara, Bergame, inv. 58AC00732. Huile sur toile, 98 x 227 cm © Accademia Carrara, Bergame
Image 1 Alexandre Cabanel, Phèdre, 1880 - Montpellier, Musée Fabre. Huile sur toile, 194 x 286 cm © Musée Fabre, Montpellier Agglomération - cliché Frédéric Jaulmes
Image 2 Le musée Cantini

Image 3 Jacques-Louis David, La douleur d’Andromaque sur le corps d’Hector, 1783 - École Nationale Supérieure des Beaux-Arts, Paris. Huile sur toile, 146 x 181 cm © École Nationale Supérieure des Beaux-Arts, Paris
Image 4 Jean Léon Gérôme, Sortie du bal masqué, 1857 - St. Petersbourg, The State Hermitage Museum. Huile sur toile, 68 x 99 cm © The State Hermitage Museum. Photo: Svetlana Suetova
Image 5 Edgar Degas, L'Orchestre de l'Opéra, vers 1869-1869 - Musée d’Orsay, Paris. Huile sur toile, 56,5 x 46,2 cm © RMN (Musée d’Orsay) / © Hervé Lewandowski
Image 6 Adolphe Appia, Tristan et Isolde. Acte II, 1896 - Collection Suisse du Théâtre, Bern. Mine de plomb, fusain, craie blanche et estompe sur papier, 48,3 x 62,9 cm © Collection Suisse du Théâtre, Bern
Image 7 Johann Heinrich Füssli, Lady Macbeth somnambule, 1772 - Londres, The British Museum Plume, encre grise, aquarelle, grise et graphite, 30,7 x 43,2 cm © The Trustees of the British Museum