L`Intermède
John Thomson, exposition, Merseyside Maritime Museum, Liverpool, China, photographie, portrait, paysage, vie quotidienne, dignitaires, femmesDans l'intimité d'un jardin chinois
Jusqu'au 6 juin, le Merseyside Maritime Museum à Liverpool présente la première exposition consacrée aux clichés pris en Chine par le photographe écossais John Thomson (1837-1921). Les cent-quarante-six instantanés, réalisés entre 1868 et 1872 durant ses voyages à Guangdong, Fujian, Beijing et dans le nord-est de la Chine, proviennent de la Wellcome Library à Londres, bibliothèque où sont conservés les oeuvres appartenant à Henry Wellcome, pharmacien et collectionneur qui a acheté les centaines de négatifs de Thomson à ses héritiers en 1921, quelques mois après sa mort. L'occasion d'entrer dans l'intimité d'une Chine d'un autre temps.

Si John Thomson découvre pour la première fois l'Asie en 1862, il lui faut attendre huit ans pour revenir en Chine et sillonner le pays de 1870 à 1872. Par goût personnel, et non comme mandaté du gouvernement - fait assez rare à l'époque -, il traverse le continent en photographiant des sujets très divers et, malgré sa condition d'étranger, parvient à saisir des réalités parfois intimes des cultures qu'il découvre, prouvant qu'outre son oeil aiguisé, Thomson sait inspirer une confiance qui lui ouvre les portes des maisons. Parfois, les populations qu'ils rencontrent n'ont jamais vu d'occidental et n'ont jamais vu d'instantanés. Ces prises de vue en sont d'autant plus précieuses. Alors que le médium photographique n'en est qu'à ses balbutiements, l'Ecossais parvient aussi à surmonter les difficultés techniques liées à l'encombrement du matériel nécessaire et aux inconvénients des négatifs de verre. Trois qualités qui font de lui un véritable pionnier du photojournalisme.
 
L'espace calme et spacieux du Merseyside Maritime Museum, la scénographie sobre et le parcours libre qui permet de déambuler à sa guise honorent le travail de Thomson avec élégance. Parmi les clichés, un certain nombre de tirages très grands formats posent des jalons dans l'exposition, permettant à l'oeil de savourer John Thomson, exposition,
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dignitaires, femmesles détails des photographies, la finesse des cadrages pour les paysages, les nuances de l'expression du visage dans les portraits. Ainsi, le contraste entre le personnage, figure humaine minuscule et solitaire, et les ruines imposantes qui l'entourent dans Interior ruins of the chapel of the sisters of Charity (Tianjin, 1871), s'impose du sol au plafond. Quant à l'arche de pierre, elle prend là toute son ampleur dans Ancien Buddhist Arch at Juyong Guan (Nankou Pass, Beijing, 1871-1872). Le poids du passé s'incarne dans ces prises de vue envahies de ruines et de signes de l'ancien temps, révélant l'histoire millénaire de la Chine et les événements - déclin de la dynastie des Qing et pression des pays occidentaux - qui l'ont agité en cette deuxième moitié du XIXe siècle.

Paysages, portraits ou scènes de vie quotidienne, les clichés exposés sont divers mais, que les sujets prennent la pose ou soient saisis sur le vif, que l'homme impose sa silhouette dans le cliché ou s'inscrive indirectement à travers les bâtiments et les objets qu'il construit, partout se retrouve ce même souci de capter tant les individus qu'une culture toute entière. "China Thomson", comme on le surnommera plus tard, veut mettre son objectif au service d'une meilleure connaissance de la culture chinoise et ces clichés ont valeur documentaire. De retour en Angleterre, il publie d'ailleurs des livres comme Illustrations of China and its people (1873-1874) ou Through China with a Camera (1898) et tient bientôt des conférences sur la culture et l'histoire chinoises. Il s'agit, pour le photographe et explorateur, de donner une image la plus fidèle possible des contrées qu'il a découvertes durant ses voyages, faisant poser chaque homme et femme dont il a croisé le chemin. Au fil du parcours se John Thomson, exposition, Merseyside Maritime Museum,
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dignitaires, femmesdévoile ainsi une foule de personnages singuliers. Ici, le vieux Wang, un homme de la rue, un gardien de nuit qui veille contre les voleurs et informe de l'heure qu'il est (Old Wang, a Night Watchman, Beijing 1871-1872). Là, des joueurs saisis en train de faire des paris (Street Gamblers, Guangzhou, Guangdong, 1868 - 1871) ou des artisans exerçant leur métier dans la rue (A knife grinder, Beijing 1871-1872). Ailleurs, des dignitaires, des ministres posant dans les règles, comme sur A Cantonese Mandarin official (Guangzhou, Guangdong, 1869). Tous s'exposent au regard de Thomson qui accueille la culture chinoise et la respecte tout en affirmant son propre regard. Sur le portrait d'un ministre, une ombre voile ainsi une partie du visage, de manière contraire à l'usage ; le photographe n'est pas qu'un témoin transparent.

Il n'est pas non plus spectateur innocent, puisqu'il choisit consciencieusement les lieux qu'il capture, à un certain moment de leur histoire. Mais son oeil d'artiste semble souvent faire le simple constat de la beauté. Les nombreux portraits de femmes ne laissent aucun doute sur la fascination que ces visages suscitent chez lui, comme sur ce superbe visage de profil intitulé A native woman (Fujian, 1871). Les grands formats donnent là aussi la mesure de ce regard enchanté que porte Thomson sur les femmes chinoises, à l'instar de la mariée mystérieuse qui, à l'image des autres femmes qui posent, conserve cette expression neutre et énigmatique qui rend le regard d'autant plus expressif et troublant (A manchu Bride in her wedding clothes with her maid, Beijing, 1871).

Celui qui deviendra en 1881 le photographe officiel de la famille royale britannique et fera le portrait de la haute société londonienne a ici le privilège de pénétrer un autre univers, secret et domestique. Il entre dans le monde quotidien des femmes manchus, vivant essentiellement recluses dans leurs maisons. Leur journée, les John Thomson, exposition, Merseyside Maritime Museum, Liverpool, China, photographie, portrait, paysage, vie quotidienne, dignitaires, femmeslongues heures que les servantes passent à coiffer leurs cheveux et à maquiller leur visage, suivant la coutume, se lisent sur ces clichés qui captent l'intimité avec une grande pudeur, comme sur  A Manchu Lady after having her face painted (Beijing, 1871-1872). La chevelure, emprisonnée selon des dessins complexes autour de morceaux de bois, dessine des coiffures raffinées qui semblent être en elles-mêmes un langage. Pour ces femmes dont le corps est entièrement soumis à la tradition, le visage enduit d'une épaisse couche de maquillage blanc sur lequel des touches de rose et de rouge sont ensuite ajoutées sur les joues et les paupières, le regard demeure le seul accés à l'intériorité. Sur les visages en noir et blanc s'inscrivent l'émotion d'une vie ; le fossé culturel s'estompe en un regard.
 
Claire Cornillon, à Liverpool
Le 10/05/10


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China through the lens of John Thomson 1868-1872,
jusqu'au 6 juin 2010
Merseyside Maritime Museum
Albert Dock
Liverpool
Tlj 10 h - 17h
Entrée gratuite







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Légendes et crédits photographiques:
Vignette Page d'accueil: A manchu Bride, Beijing 1871-1872 ©  The Wellcome Library, Londres
1 A sedan Chair, Fujian 1870-1871©  The Wellcome Library, Londres
2 Nanjing Arsenal, Nanjing, Jiangsu 1872. ©  The Wellcome Library, Londres
3 Street gamblers, Guangzhou, Guangdong 1868-1871 ©  The Wellcome Library, Londres
4 A native women carrying buckets, Fuzhou, Fujian, 1871 ©  The Wellcome Library, Londres
A junk, Guangzhou, Guangdong, 1869-1871 ©  The Wellcome Library, Londres