L`Intermède
Jeu de Paume : retour sur l'actualité
C'est un jeune photographe français qui occupe les cimaises du Jeu de Paume, cet été, avec l'exposition Feux de camp. Son nom : Bruno Serralongue, né en 1968. Dans le sillage des journalistes-reporters, il court et couvre les sommets et autres rassemblements vers lesquels converge tout ce que la planète compte de sommités ou d'altermondialistes. Mais dans une approche qui prend systématiquement Bruno Serralongue,
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journalisme, presse, reportage, histoire, photographiele contre-pied des médias de masse. Au cœur de sa problématique : l'information ou, plutôt, la désinformation. Et si on changeait d'angle ?

Les habitués du Jeu de Paume peuvent se trouver un peu désemparés quand ils entrent dans les deux salles du rez-de-chaussée. Bien sûr, ce n’est pas la première fois que celles-ci apparaissent "entre leurs quatre murs", sans autres éléments scénographiques, cloisons, rideaux, écrans, destinés à découper l'espace, à le redessiner selon une logique qui fait forcément sens. Mais cette démarche minimaliste reste rare et est, de fait, délibérée. Car l'accrochage, qui mêle tous les formats, l'image et le texte, et joue sur les hauteurs, est évidemment tout sauf fortuit. "J'ai cherché à déjouer la rétrospective telle qu'on aurait pu l'attendre", explique Bruno Serralongue, qui présente plus de quinze ans de son travail, de 1993 à aujourd'hui. Supprimer les cimaises, cela revient à se défaire de l'ordre chronologique et linéaire : "J'ai davantage travaillé sur l'idée de coexistence des images entre elles, en favorisant des regroupements thématiques." Refus de la consommation, croisement des motifs récurrents par delà les dates et les événements… On touche du doigt ce qui guide les pas du photographe de l'Inde à l'Afrique du Sud, de la Tunisie au Chiapas (Mexique), de Hong-Kong au Kosovo, à savoir que seul le temps est à même de donner du sens à une image. Et, partant, à l'événement décrit.

Deux salles soit sept murs, comme le nombre de thématiques abordées dans ce pêle-mêle d'images très souvent sages. A cette nuance près que derrière cet aspect lisse et sans tâche se glisse toujours un détail qui éveille et stimule la curiosité. On pense à Blow up, le film de l'Italien Michelangelo Antonioni (1966), et à ce cliché qui, à l'arrière-plan, laisse apparaître un cadavre mal dissimulé dans un bosquet. Après tout, l'image sert aussi à cela, à révéler. Pour preuve, la série d'instantanés qui accueille le public avant d'entrer dans le vif du sujet, mettant en scène des journalistes en plein entraînement, Bruno Serralongue, photographie, rétrospective, biographie,
parcours, Jeu de Paume, exposition, Paris, actualité, Kosovo, Chiapas,
faits divers, journalisme, presse, reportage, histoire, photographieen prévision d'un éventuel envoi en zone de guerre. C'est du moins ce que la légende nous annonce et que l'image ne dément pas. On distingue bien les reporters, les instructeurs, et même un peu plus. "Cela témoigne de mon intérêt pour l'action, mais aussi le décor à travers le recours au grand angle. On peut ainsi apercevoir au second plan une tondeuse, ou encore remarquer que les pommiers sont en fleurs." Le goût du détournement ou l'art d'exhumer au coeur d'un événement "des thèmes qui n'arrêtent pas le regard du photographe professionnel."
 
D'ailleurs quand Bruno Serralongue part "sur le terrain", il n'est jamais accrédité. Il planifie ses déplacements comme on part en vacances... mais ne se sépare jamais de son trépied ni de sa chambre photographique, voile noir compris, qu'il place à un endroit précis en espérant que quelque chose adviendra. D'où, précise-t-il, "la nécessité de pré-visualiser". Un dispositif qui l'oblige également à une certaine économie : lors de son déplacement au Chiapas à l'occasion de la Rencontre intercontinentale pour l'humanité et contre le néolibéralisme organisée durant l'été 1996, il a ainsi réalisé quatorze photographies… en cinq jours. Du reste, indique-t-il, si l'on peut parler de rétrospective à propos de cette exposition, cela tient aussi au fait qu'on y voit toutes les images qu'il a faites en l'espace de dix-sept ans. Quant à savoir si lors de cette Rencontre organisée à l'appel des Indiens Zappatistes, il ne fut pas tout de même tenté de se focaliser, lui aussi, sur le commandant Marcos, venu en personne, même pas la peine d'y songer : "L'apparition de Marcos était totalement diluée par rapport à l'événement qui mobilisait cinq camps à travers tout le Chiapas. Ce que je cherche, c'est provoquer des écarts avec la photographie de presse et ainsi questionner la notion de transmission de l'information."

De fait, cette interrogation traverse les sept thématiques qu'il a donc "arbitrairement" retenues et qui vont des manifestations aux feux d'artifices, des mots (slogans, banderoles, tracts) au regroupement de personnes (grève et occupation d'une usine à Châtellerault, menacée de délocalisation) ou encore des portraits au travail des journalistes (salles et conférences de presse, par exemple), le tout permettant de mélanger les événements et de mettre de la sorte en exergue une sorte de canevas commun et, au bout du compte, de rituel in(ter)changeable. "Quand on a des foules à gérer, on est obligé de s'en tenir à un protocole immuable." C'est la figure imposée du stade, des feux d’artifice, comme en 1997 à l'occasion de la rétrocession de Hong Kong à la Chine, et de la conférence de presse. A côté, ou plus exactement en côté de ces "invariants", il y a ces "invisibles" qui pourtant en disent plus longs sur les réunions au sommet que les discours officiels. Ne citons qu'un exemple : Bruno Serralongue est en Afrique du Sud, il participe au Sommet mondial sur le développement durable qui s'est tenu du Bruno Serralongue, photographie, rétrospective, biographie,
parcours, Jeu de Paume, exposition, Paris, actualité, Kosovo, Chiapas,
faits divers, journalisme, presse, reportage, histoire, photographie26 août au 4 septembre 2002, le plus grand sommet jamais organisé par l'ONU. Surenchère de chiffres et de records, nous dit la presse… et cette photographie à la fois muette et bavarde prise à l'intérieur de l'université qui accueillait un contre-sommet : sur les murs, une collection d'affichettes, d'avis et de mots d'ordre punaisés, faisant apparaitre "un désordre d'informations à l'exact opposé de ce qui se passe pendant les sommets officiels où généralement tout s'est joué avant."
 
Cette réflexion sur l'actualité et surtout sur ce qu'elle recèle, Bruno Serralongue l'a entamée en 1993. Il fréquente alors l'école des beaux-arts de Nice et, en lisant la presse quotidienne régionale, commence à s'intéresser à la rubrique "faits divers", particulièrement nourrie. "A travers la manière de les écrire, j'ai découvert que cette rubrique disait de notre société, en quoi elle était révélatrice, se souvient-il. En plus, il n'y avait jamais d'image. Partant de cette observation, je me suis fixé un protocole, je ferai une photo de l'événement au moment où on en parle, où on trouve encore des traces du fait relaté" Et Nice version faits divers reste à ce jour sa plus importante série avec cinquante et une images, dont deux sont exposées au Jeu de Paume. Témoignages discrets de l'acte de naissance en quelque sorte de celui qui reconnait avoir été marqué et influencé par l'art conceptuel des années 1970. Quoi qu'il en soit, son travail ne s'est dès lors plus vraiment écarté de ce cadre originel qui vise à montrer les "sous-textes dissimulés dans l'information" en ayant, à chaque fois, recours à une "méthode photographique prédéfinie".

Dernière illustration en date, sa série consacrée au Kosovo, pays (autoproclamé) indépendant en 2008, au nez et à la barbe des Serbes. Cette fois, celui qui puise systématiquement ses sujets dans la presse a modifié quelque peu les règles puisqu'il s'inscrit dans le long terme. Manière d'explorer tous les temps, de l'instantané au moins bref. Depuis l'an passé, Bruno Serralongue se rend donc une à deux fois par an dans cette nouvelle nation de l'ex-Yougoslavie pour "suivre l'évolution économique d'un pays qui n'existe que par la volonté de Bruno Serralongue, photographie, rétrospective, biographie, parcours, Jeu de Paume, exposition, Paris, actualité, Kosovo, Chiapas, faits divers, journalisme, presse, reportage, histoire, photographiel'ONU, et grâce au soutien de l'Europe." Devant les premières images qu'il a rapportées et le diaporama de la route - le boulevard Bill Clinton, ça ne s'invente pas - qui sépare l'aéroport de la capitale Pristina, le spectateur a effectivement l'impression de se "promener" dans une fiction. Partout, les symboles de l'OTAN le disputent aux belles façades des supermarchés construits dans une campagne vide, absolument vide. Ce décor, le Parisien entend le visiter durant cinq ou six ans.

Mais si la temporalité change, la finalité demeure inchangée : se glisser là où plus personne ne songe à retourner, à explorer ce qui, une fois le prétendu fait dominant passé, appartient à la vraie histoire. Ce qui explique sans doute le refus de tout sensationnel dans les prises de vue de Serralongue, toujours à bonne distance - l'usage du grand angle exacerbant cette position - et, à ce titre, volontairement équivoque et décalé, comme les motifs qu'il appréhende. En prenant le contre-pied du flot commun d'images, il n'offre pas qu'une autre vision du monde, il lui instille aussi une richesse et une complexité qui tient à sa position certes en retrait, mais évidemment militante. Devant la série dédiée au collectif des sans-papiers qui manifestaient chaque samedi place du Châtelet et que le photographe a suivis durant un an et demi, du 8 septembre 2001 au 11 janvier 2003, on ne peut s'empêcher de penser que, hier comme aujourd'hui (et demain ?), les saisons ont beau passer, la question des sans-papiers est, si l'on ose dire, toujours d'actualité.

Pour autant, nul besoin d'être un lecteur patenté du Monde diplomatique ou de Courrier International pour déambuler dans cet univers ouvert. De même qu'à travers ses images, Bruno Serralongue offre une mosaïque de sens, de même l'accrochage qu'il a choisi permet une approche plurielle. En jouant sur les différents formats - de la vignette au grand tirage - et sur tous les niveaux de lecture (à voir de près, à regarder de loin), le photographe n'exclut personne. Il invite au contraire tout un chacun à scruter cette fausse simplicité. Et à y lire ce que notre frénésie de consommation d'images nous empêche désormais de voir.
 
Elisabeth Bouvet
Le 26/07/10

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Feux de camp, de Bruno Serralongue, jusqu'au 5 septembre 2010
Jeu de Paume
1 place de la Concorde
75008 Paris
Tlj (sf lun) 12h - 19h
Samedi et dimanche 10h - 19h
Nocturne mardi (21h)
Plein tarif : 7 €
Tarif réduit : 5 €
Le dernier mardi de chaque mois : entrée gratuite pour les moins de 26 ans et étudiants







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Crédits et légendes photos
Vignette sur la page d'accueil : Feu d'artifice pyromélodique (blanc), 16 août 1994, Série "Les Fêtes", 1994. Bruno Serralongue, Tirage Cibachrome contrecollé sur aluminium, 37 x 30 cm, édition 1/3. Collection Nouvion-Rey, Monaco © Bruno Serralongue, courtesy Air de Paris
Photo 1 Newborn, Priština, Kosovo, mardi 17 février 2009. Série "Kosovo", 2009. Bruno Serralongue, Tirage Ilfochrome contrecollé sur aluminium, 127,5 x 158,5 cm, ea1/2. Courtesy Air de Paris, Paris © Bruno Serralongue, courtesy Air de Paris et Francesca Pia
Photo 2 Bibliothèque nationale du Kosovo, Priština, Kosovo, septembre 2009. Série "Kosovo", 2009. Bruno Serralongue, Tirage Ilfochrome contrecollé sur aluminium, 40 x 51 cm, ea 1/2. Courtesy Air de Paris, Paris © Bruno Serralongue, courtesy Air de Paris
Photo 3 "Land First Mela", Rural Festival on Land Rights, Kandivali, World Social Forum, Mumbai, 2004. Série "World Social Forum, Mumbai", 2004. Bruno Serralongue, Tirage Ilfochrome contrecollé sur aluminium, 127,5 x 158,5 cm, édition 1/3. Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris © Bruno Serralongue, courtesy Air de Paris
Photo 4 Célébration du premier anniversaire de l'indépendance du Kosovo, Priština, Kosovo, mardi 17 février 2009. Série "Kosovo", 2009. Bruno Serralongue, tirage Ilfochrome contrecollé sur aluminium, 40 x 51 cm, ea 1/2. Courtesy Air de Paris, Paris © Bruno Serralongue, courtesy Air de Paris
Photo 5 "Indépendance 2009". Tournoi international de boxe (Albanie, Bosnie-Herzégovine, Kosovo, Macédoine, Monténégro), Priština, mardi 17 février 2009. Série "Kosovo", 2009. Bruno Serralongue, Tirage Ilfochrome contrecollé sur aluminium, 40 x 51 cm, ea 1/2. Courtesy Air de Paris, Paris © Bruno Serralongue, courtesy Air de Paris et Francesca Pia