L`Intermède
 Institut du Monde Arabe, collection Khalili, Arts de lIslam, exposition, Nasser D. Khalili, Mahomet, Coran bleu, calligraphie, écriture coufique, Bayezit IICollection Khalili :
les chefs-d'oeuvre méconnus

L'Institut du Monde arabe accueille jusqu'au 14 mars la collection Khalili, déjà exposée à Abu Dhabi et à Sydney. Près de cinq-cent œuvres – manuscrits, tapis, céramiques, orfèvreries… – sont réparties entre les trois sections du parcours de l'exposition Arts de l'Islam. Cette première étape européenne est l'occasion de lever nombre de préjugés et de malentendus sur un art que l’on fait trop souvent rimer avec sacré.


Dès les années 1970, Nasser D. Khalili, juif iranien, inaugure sa collection d’objets témoignant de la production artistique des pays musulmans, de la prédication du Prophète Mahomet (570-632), au VIIe siècle de notre ère, jusqu’au siècle dernier. Parmi les oeuvres exposées, un nombre important de manuscrits du Coran atteste du développement et du foisonnement de l'art calligraphique dans le monde islamique. "Aucune théorie esthétique autre que calligraphique ne nous est parvenue", explique Eric Delpont, commissaire de l'exposition de l’IMA. Ainsi, deux feuillets du Coran bleu, datant du Xe siècle, se détachent de murs de la même couleur dans la première salle consacrée aux liens qu'entretient l'art avec le sacré. Les lettres tracées à l'or dans une écriture coufique - style qui se caractérise par une ligne horizontale bien dessinée et des hampes des lettres ramenées le plus possible à la perpendiculaire pour rythmer le mouvement de l’écriture - sur un parchemin bleu-noir ornent ainsi le texte sacré : de la couleur céleste surgit la lumière diffusée par la parole de Dieu.

Au gré des lieux et des époques, les calligraphies se diversifient. A la fin du XIIe siècle, dans l'Espagne musulmane, l'andalusî, dérivée des caractères usités au Maghreb, est la plus courante. Le calligraphe a alors un statut particulier : il est responsable de l'exactitude du texte sacré - afin d'éviter tout contresens, les calligraphes introduisent les points diacritiques qui permettent de différencier certaines lettres – et, du côté profane, du monogramme ou tughrâ, emblème graphique du prince ou du dignitaire dont il est le serviteur. Le rôle du copiste est si important que lorsque l'imprimerie se diffuse, à la fin du XVe siècle, les sultans ottomans Bayezit II et Selim Ier l'interdisent. Cette prohibition sera partiellement levée trois siècles plus tard… mais il faudra attendre la fin du XIXe pour que les livres religieux soient imprimés en Turquie. "La calligraphie appartenait à l'éducation de l'honnête homme, et il existe des exemplaires du Coran calligraphiés par des princes", précise Eric Delpont.

 Institut du Monde Arabe, collection Khalili, Arts de lIslam, exposition, Nasser D. Khalili, Mahomet, Coran bleu, calligraphie, écriture coufique, Bayezit IILa calligraphie n'est cependant pas propre au texte coranique : même si son développement est lié au fait que l’écrit a d’abord enregistré la Révélation, les beaux caractères courent sur tous les supports. "Plus de 80 % des œuvres exposées appartiennent au registre profane", poursuit le commissaire : les belles lettres abondent sur les plats, la vaisselle, certains tapis où elles se fondent avec les motifs géométriques et végétaux… Y figurent essentiellement des maximes pieuses, provenant souvent de sources autres que le Coran, par crainte de souiller le texte sacré. Le long des bords d'un plat égyptien en verre transparent soufflé et travaillé datant du VIIIe siècle est ainsi inscrit : "Tout appartient à Dieu". Sur certains vêtements talismaniques, pour protéger celui qui combat ou pour assurer la victoire de son camp, on recopie intégralement le Texte, le plus souvent en calligraphie ghubâr, une écriture minuscule, et l'on orne les bordures des quatre-vingt dix-neuf noms de Dieu, auxquels certains traités prêtent des vertus occultes - pour apaiser la fièvre ou les crises d'épilepsie. Un des hadiths, recueil qui comprend l'ensemble des traditions relatives aux actes et aux paroles du Prophète, recommande d'ailleurs leur énumération pour entrer au Paradis.

La calligraphie peut également avoir une fonction figurative. Témoin, ce calligramme, sans doute exécuté par un derviche au début du XXe siècle, qui représente un lion, invocation au gendre du Prophète, Ali, surnommé "le lion de Dieu". Une des ambitions d'Arts de l'Islam est de faire tomber l'idée reçue selon laquelle l'Islam interdit la représentation d'êtres animés. Le Coran ne jette explicitement l'anathème que sur les idoles - Mahomet les ayant par ailleurs chassées de la Mosquée sainte de la Mecque -, c'est pourquoi les images sont bannies des lieux de culte. Mais les Hadiths se font plus sévères à l'égard des représentations, l’un d'entre eux affirmant que les Anges n'entrent pas dans une maison où il y a une représentation figurée. Pour Eric Delpont, cette idée reçue vient du fait que l'Occident a découvert l'art islamique à partir des œuvres d'Afrique du Nord, exempte de représentations, d'où sont nées les théories sur l'arabesque. "D'un autre côté, l'art de la miniature a sans doute inspiré Ingres", estime-t-il. Les pèlerins sont représentés dans les guides des lieux saints, parmi lesquels figurent La Mecque, qui comprend la Kaaba, Jérusalem, où Mahomet se rend lors de son voyage nocturne céleste monté sur Al-Buraq, monture ailée de l'ange Gabriel, envoyé par Dieu pour transmettre au Prophète ses paroles.

Les prophètes eux-mêmes, comme Moïse, Jésus et Mahomet, ne sont pas toujours voilés mais entourés d'un nimbe de flammes, signe de leur sainteté. Dieu seul ne peut être représenté, n'ayant pas, à la différence du dogme chrétien, d'incarnation humaine. La pratique cultuelle ne s'appuie pas sur l'image de Dieu ou des Saints : seul son nom peut être recopié, ainsi que ses quatre-vingt dix-neuf qualificatifs, comme sur ce panneau datant du XVIIIe siècle où des lignes entières tressent son nom, dans un vertige semblable à celui des litanies que pratiquent de nombreuses communautés soufies.Institut du Monde Arabe, collection Khalili, Arts de lIslam, exposition,
Nasser D. Khalili, Mahomet, Coran bleu, calligraphie, écriture
coufique, Bayezit II

Des animaux fantastiques ou réalistes ornent nombre d'objets du quotidien : vaisselle en bronze, tapis, plats, brûle-parfums en forme de colombe ou d'éléphant, heurtoirs de porte figurant des hippocampes entrelacés dont la queue est ornée d'une tête d’aigle… Autant de témoins d'un art de vivre qui ne renie ni les plaisir, ni la recherche perpétuelle de satisfaction des sens. L'art offre aux sens du fidèle un avant-goût de Paradis, richement décrit dans le Coran comme un lieu où coulent des fleuves de lait, de vin et de miel. Une vitrine de l'exposition est ainsi consacrée à la boisson que le commissaire justifie d’une maxime : "Dans l'Islam, tout est permis, mais dans la tempérance." C'est qu'il n'y a pas d'interdit strict, au sens où le Christianisme l’entend, puisqu’il n’y a pas de péché.

A rebours d'une conception simpliste qui voudrait considérer l’art islamique "comme un monolithe sans évolution dans son histoire", selon le mot d’Eric Delpont, Arts de l’Islam, en brassant près de treize siècles d’art sur trois continents, prouve la grande diversité culturelle au sein du vocable "islamique". L’Occident s’immisce grâce aux marchands et missions religieuses, et empreint la peinture d’'Iran du XIXe siècle. Témoin, cette scène de banquet "à l'européenne", ou celle de chasse au sanglier dans un paysage du vieux continent. Les échanges commerciaux, les contacts de l'Islam avec les ethnies et les cultures des pays convertis enrichissent l'art islamique. Un siècle seulement après la mort du Prophète, l'Islam assure son autorité sur des territoires étendus de l'Espagne à la Chine.

Le collectionneur Nasser D. Khalili, co-fondateur de la Fondation Maïmonide qui œuvre pour le dialogue entre Juifs et Musulmans, récemment fait Commandeur de l’ordre équestre de Saint Sylvestre par Benoît XVI, après avoir été fait chevalier du même ordre pour son engagement en faveur de la paix entre les nations par Jean-Paul II, entend faire apprécier les richesses de l'art islamique, persuadé qu'une connaissance fine de cet art est un moyen de lutte  Institut du Monde Arabe, collection Khalili, Arts de lIslam, exposition, Nasser D. Khalili, Mahomet, Coran bleu, calligraphie, écriture coufique, Bayezit IIcontre l'intolérance. Cette ouverture aux autres cultures est un mouvement auquel l’art islamique invite, comme en témoignent les dix-huit pages exposées de L'Histoire universelle de Rashîd al-Dîn (1256-1353), vizir en Iran. Le projet de cette somme considérable est de rassembler l'histoire des peuples que les Moghols ont affrontés (Arabes, Juifs, Francs, Chinois) ainsi que d'offrir un panorama de l'histoire des Prophètes d'Adam à Mahomet et, enfin, d'exposer les savoirs géographiques de l'époque. Dans ces pages, donc, l'histoire du Bouddha, des influences chinoises pour ce qui est des techniques de dessin et byzantines pour le style des personnages.

Deux siècles plus tard, en Inde Moghole, empire fondé en 1526 et constituant l'acmé de l'expansion musulmane en Inde, l'empereur Akbar Ier prône la tolérance religieuse, supprime l'impôt sur les non-musulmans, se montre favorable aux débats entre représentants religieux et va jusqu’à proclamer sa propre religion syncrétique, unifiant la Bible, le Coran et des textes hindous, proche pour certains de l'apostasie. C'est pour cette raison que deux pages illustrées du Râmâyana, un des écrits fondamentaux de l'Hindouisme composé entre le IIIe siècle avant Jésus-Christ et le IIIe siècle de notre ère, sont exposées. Ce syncrétisme est nourri par le faste des Moghols qui attire, aux XVIe et XVIIe siècles, des artisans et des joailliers du monde entier. Depuis les années 1520, les émeraudes extraites des mines de Colombie sont disponibles sur le marché indien, via l'Europe, comme en témoigne cette boîte d'une centaine d’émeraudes surmontée d’un diamant à vingt-quatre facettes, provenant sans doute des mines de Golconde qui font la richesse de l'empire.

 
Alexandre Salcède
Le 16/02/10
 
 Institut du Monde Arabe, collection Khalili, Arts de lIslam, exposition, Nasser D. Khalili, Mahomet, Coran bleu, calligraphie, écriture coufique, Bayezit II
Arts de l’Islam, Chefs-d'oeuvre de la collection Khalili
, jusqu’au 14 mars 2010
Institut du Monde Arabe
1, rue des Fossés Saint Bernard
75005 Paris
Mar-Ven : 10h-18h
Sam-Dim : 10h-20h
Nocturne le jeudi (22h)
Plein tarif : 10,50€
Tarif réduit : 8,50€
- de 26 ans : 6,50€
Rens. : 01 40 51 58 14






D'autres articles de la rubrique Civilisations

Fait exceptionnel : 111 pièces inédites en France racontent l`Histoire du Bhoutan, pays méconnu perché dans l`Himalaya.

Crédits et légendes photos
Vignette sur la page d'accueil : Tapis, Iran, Kashan, XVI e siècle. © Nour Foundation. Courtesy of the Khalili Family Trust Velours en laine avec fils métalliques sur chaîne et trame en soie 248 × 199 cm TXT 220
Photo 1 Feuillet issu du Coran Bleu, Tunisie ou Espagne, IXème siècle. © Nour Foundation. Courtesy of the Khalili Family Trust Sourate al-Baqara (II, « La vache »), versets 120-127, et sourate al-‘Imrân (III, « La famille de ‘Imrân »), versets 55-64 Afrique du Nord ou Espagne, Xe siècle Or sur parchemin teint en bleu roi, écriture coufique, 15 lignes par page 28,3 × 37,7 cm KFQ 53 (folios 2a, 1b)
Photo 2 Grande bouteille en forme de melon, Iran ou Irak, Ve - début VII e s. © Nour Foundation. Courtesy of the Khalili Family Trust Verre de couleur vert émeraude foncé, soufflé, travaillé au pontil, taillé à la roue et poli H. 35 ; D. 20,2 cm GLS 384
Photo 3 Coffret rectangulaire avec une serrure à combinaison, Jezireh, Irak, première moitié du XIIIe siècle. © Nour Foundation. Courtesy of the Khalili Family Trust Feuille de laiton, incrustations d’argent H. 20,5 ; L. 19,5 ; l. 16 cm MTW 850
Photo 4 Panneau d'une frise calligraphique en marbre, Est de l'Iran, XIIIe siècle © Nour Foundation. Courtesy of the Khalili Family Trust Marbre blanc 54 × 46,5 cm MXD 250
Photo 5 Indicateur de qibla et cadran solaire, Istanbul, Turquie, 1748. © Nour Foundation. Courtesy of the Khalili Family Trust. Signé du facteur ‘Alî Laiton martelé, coulé et gravé, fixé sur un support en bois H. 17,3 ; D. 24,2 cm SCI 270