L`Intermède
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MÊME SI LES GUIDES touristiques d’Auvers-sur-Oise le disent aujourd’hui "bipolaire", une autre époque aurait très bien pu diagnostiquer chez Vincent Van Gogh la mélancolie. En 1948, le psychiatrique François-Joachim Beer classe pourtant le malade sous le type des "schizophrènes dégénérés", ce qu'Antonin Artaud, lui-même passé sous les électrochocs des disciples de Jean-Martin Charcot, Artaud, Van Gogh, Vincent, Man Ray, Antonin, peinture, peintre, musée orsay, rétrospective, artiste, paris, exposition, suicide, poète, dessinateur, lettre, antonin, critique, analyse, interviewn'apprécie guère. C’est qu'avec ces choses-là, le "moi tombe en flasque" (Aliénation et Magie noire) ; avec ces paroles qui emprisonnent, ces frères qui soignent et cette société qui vous suicide. Bien qu’il ait jusque-là vaguement rechigné devant le galeriste Pierre Loeb, qui voulait le faire écrire sur la rétrospective Van Gogh au musée de l'Orangerie en 1947, Artaud passe finalement du flasque à l'azote et rédige Le suicidé de la société, œuvre testamentaire qui accompagne actuellement une exposition de toiles de Van Gogh au musée d’Orsay.

L'OUVRAGE D'ANTONIN ARTAUD (1896-1948) ne cherche pas à témoigner d’une quelconque expérience de l’asile, ni même à s’arrêter à ce "réduit de gorilles eux-mêmes persécutés et obsédés" qu’est devenue la psychiatrie, sinon pour dire que cette folie se trouve incorporée dans toutes les toiles du "boucher roux" : "Méfiez-vous des beaux paysages de Van Gogh, tourbillonnants et pacifiques, convulsés et pacifiés. C’est la fièvre entre deux reprises d’une insurrection de bonne santé. Un jour la peinture de Van Gogh, armée de fièvre et de bonne santé, reviendra pour jeter en l’air la poussière d’un monde en cage que son cœur ne pouvait plus supporter." Car, pour l'écrivain, cela ne fait pas l'ombre d'un doute : Vincent Van Gogh (1853-1890) n’était pas fou. Il a plutôt été l’un des derniers à tenter la folle entreprise de contempler et de représenter le réel, de peindre "non pas des lignes ou des formes, mais des choses de la nature inerte comme en pleines convulsions." Rien d’autre que la toile, l’absolu non dépassement du cadre et la déflagration immobile du motif. C’est pourquoi, dans sa relecture de l’entreprise impressionniste, Artaud se refuse à décrire les tableaux pour choisir plutôt de contaminer le paysage, pour y "ramasser corps" et prendre place dans les "murailles de tournesols éventrés" de Van Gogh.

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Marchand de couleurs

DANS SA NÉCROLOGIE du Père Tanguy publiée dans l’Echo de Paris du 13 février 1894, Octave Mirbeau rappelle les paroles du marchand de couleurs à l’annonce de la mort du peintre : "un pareil génie ! Et un si bon garçon." Chez le Van Gogh "convulsionnaire" sommeillent ainsi les figures tranquilles, d’un naturel bon garçon, du postier Roulin, du Père Tanguy ou du docteur Gachet. Ces personnages hiératiques et apaisés, jetés sur des papiers d’estampes japonaises, ont été pourtant passés au crible d’Artaud et d’autres grands intranquilles comme Pialat et Michon.

SELON LE SUICIDÉ DE LA SOCIÉTÉ, Van Gogh a été ainsi picturalement traversé par une contradiction fondamentale, entre simplicité de moyens du "pauvre ignare appliqué à ne pas se tromper" et jaillissement de la "force tournante" de sa création. C’est dans ce même mouvement d’antinomie que Pierre Michon décrit Joseph Roulin, prince postier, moujik à la vie minuscule et aux tremblements immenses, alors que chez Maurice Pialat, le frère Théo se voit écartelé entre les figures du protecteur, du concurrent et de l’ami. Ainsi, seule une forme de lâcher prise permet à ces images contraires de coexister. Elles montrent qu’il faut "être toqué vis-à-vis de ce que l’on devrait être" (Lettres à son frère Théo), à la fois distrait et amateur, pour laisser à la main seule le soin de se concentrer.

MAIS LA SUPERBE et l’humilité mêlées ne se trouvent pas exclusivement dans les figures de Van Gogh. L’exposition d’Orsay présente aussi les autoportraits torturés d’Artaud, sa "Projection du véritable corps", ainsi que les visages d’Yvonne Allendy et de Madeleine Dequeker, femmes de ses psychiatres. Ces portraits aussi bienveillants qu’effrayants s’ajoutent à ceux du Père Tanguy ou du postier Roulin, et surtout à la peinture fuyante et contournée du docteur Gachet. L’exposition suggère ainsi qu’il faut moins accréditer la diatribe d’Artaud contre le dernier gardien de Van Gogh que lire dans Le suicidé de la société un Artaud, Van Gogh, Vincent, Man Ray, Antonin, peinture, peintre, musée orsay, rétrospective, artiste, paris, exposition, suicide, poète, dessinateur, lettre, antonin, critique, analyse, interviewcommentaire non-pictural du portrait de Gachet. Figure intermédiaire entre le garçon boucher à la mâchoire torturée et les Pères calmes, le docteur est ainsi peint comme un "tranquille convulsionnaire", moins ennemi qu’image en miroir d’un Van Gogh terminal, tiraillé entre un bon naturel et l’appel incessant des corbeaux sur les blés.



Peindre le motif

ARTAUD CHERCHE SANS RELÂCHE "à prendre corps" dans l’œuvre de Van Gogh, à peindre avec ses mots la sensibilité terrible de cet "œil torve", tout comme il dessine des visages recouverts d’écritures hiéroglyphiques. À défaut de pouvoir pardonner la société, il tente en quelque sorte d’en racheter le crime. Il pousse vers Van Gogh, exhorte à déchiffrer ces fleurs, ces chambres et ces champs, dont les lignes en convulsion se trouvent autant sur la toile que sur la page. D’une certaine manière, Le Suicidé de la société, présenté sous forme de post-scriptum, ne cherche plus à peindre sur le motif mais plutôt à réécrire le corps et l’art du maître. Le travail d’un artiste contemporain comme Arnaud Rabier Nowart prolonge cette tentative de métamorphoser le legs de Van Gogh. Lorsque ce street artist s’est rendu compte qu’il avait graffé les murs des usines de Clichy que Van Gogh avait représentées un siècle plus tôt, l’idée lui est venue qu’il ne peignait plus seulement sur le motif, mais directement "le motif". Dans ce décalage référentiel, il ne faut pas simplement penser l’héritage artistique mais plutôt appréhender la transformation du réel – et des usines – par le seul intermédiaire d’un regard.

ALORS QU'EN PEIGNANT, VAN GOGH n’a eu de cesse de "se frayer un passage à travers un mur de fer invisible, qui semble se trouver entre ce que l’on sent et ce que l’on peut" (Lettres à son frère Théo), ses descendants ont transformé l’idée que l’art devait être une vision pour comprendre qu’ils pouvaient profiter Artaud, Van Gogh, Vincent, Man Ray, Antonin, peinture, peintre, musée orsay, rétrospective, artiste, paris, exposition, suicide, poète, dessinateur, lettre, antonin, critique, analyse, interviewdes virtualités du motif et tenter de peindre directement ce "mur de fer invisible". Loin d’être des épigones, Artaud, Pialat, Michon et Nowart proposent tous, à leur manière, un art second, inspiré et transcendé par la couleur Van Gogh qu’ils étalent sur leur palette.


C. V. 
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à Paris, le 21 juin 2014

Artaud/van Gogh, Le suicidé de la société
Jusqu'au 6 juillet 2014 
Musée d’Orsay
1, rue de la Légion d’Honneur 75007 Paris
Tlj (sf lun) : 9h30-18h
Nocturne le jeudi (21h45) 
Tarif plein : 11€
Tarif réduit : 8,50€

Rens. : 01 40 49 48 14

Arnaud Rabier Nowart, de l'Impressionnisme au Street Art
Jusqu'au 21 septembre 2014 
Château d'Auvers sur Oise
Rue de Léry - 95430 Auvers-sur-Oise
Tlj (sf lun) : 14h - 18h
Tarif plein : 4€

 
 




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