L`Intermède

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Pierre-feuille-photo

"Des pierres, des pierres, quelques-unes à plat, presque toutes un angle en l'air : un chantier envahi par la brousse", dit André Malraux de l'état d'Angkor en 1923. A cette date, l'Ecole Française d'Extrême Orient (EFEO) s'emploie pourtant depuis quinze ans à restaurer la capitale des rois khmers. Mais le territoire occupé est immense, envahi par la forêt tropicale et soumis chaque année aux pluies torrentielles de la mousson. La centaine de photographies exposée jusqu'au 2 janvier au Musée Cernuschi par l'EFEO témoignent des efforts déployés pour surmonter ces obstacles et rendre à Angkor un peu de sa splendeur passée.


La plupart de ces instantanés datent d'avant 1950, comme l'explique Isabelle Poujol, responsable de la photothèque de l'EFEO et commissaire de l'exposition : "Ce sont surtout des vues d'ensemble, choisies pour parler à un public large. La photothèque de l'EFEO rassemble également de nombreux clichés beaucoup plus techniques." La collection présentée reconstruit ainsi l'atmosphère disparue du site sous sa direction coloniale, où l'émerveillement de la découverte se mêle au sérieux scientifique de la restauration. Suspendues aux panneaux ocres et verts du musée, les photographies alignent leurs douces nuances de noir et blanc, éclaircies en halos gris clair par la vive lumière tropicale.

Certaines montrent des champs de ruines où les pierres éboulées disparaissent sous des fouillis inextricables de buissons denses et de racines gigantesques. D'autres racontent l'histoire d'un chantier en cours, avec ses fragiles échafaudages de bambou et ses ouvriers khmers torses nus rétablissant des exposition, archéologues à Angkor, Angkor, Conservation, archéologie, Cernuschi, architecture, restauration, Angkor Wat, Tah Prom, Banteay Srei, Bayon, Baphuon, Preah Kofondations à coup de pioches. D'autres encore attirent l'attention sur un détail de bas relief, une divinité ou une danseuse au cœur d'une profusion de feuillages et d'animaux fantastiques. On y voit, enfin, les hommes qui ont consacré leur vie à la restauration d'Angkor, les directeurs successifs de la conservation, posant pour les grandes occasions en casque colonial sous des frontons bouddhiques.

Près d'un siècle après le séjour d'André Malraux, ces architectes sont parvenus à quelques succès majeurs : de nombreux monuments ont été relevés ou consolidés, dont le délicat Banteay Srei (967), le colossal Baphuon (1060) ou l'iconesque Angkor Wat (XIIe siècle). "Les photographies constituent une mémoire essentielle de notre travail à Angkor, poursuit Isabelle Poujol. Elles complètent les journaux de restauration en fournissant une enregistrement visuel de ce que l'Ecole a accompli". Un tryptique consacré au temple de Preah Ko, l'un des plus anciens du site (880), montre ainsi trois étapes de sa reconstruction. En 1932, les murs des six tours qui le composent semblent promis à une assimilation complète à la nature environnante. Les soubassements sont effrités en un million de pièces défigurées qui jonchent la terre grenue au pied de l'édifice. Au-dessus, les murs sont noircis, crevés par le temps, les intempéries et la stabilité imparfaite du bâtiment. Des pans entiers s'en sont émiettés.

Derrière les frontons arrachés et les bas-reliefs gommés, la brique apparaît en vagues entassements dentelés et branlants. Au sommet des tours, les toits en cloches à étages, très fréquentes dans l'architecture khmère, sont recouverts d'épaisses couches de mousse baveuse menaçant d'étouffer le bâtiment entier. Pourtant, la finesse de sa réalisation reste apparente dans la richesse des sculptures ornementales encore visibles, dans la parfaite symétrie de la construction et dans les proportions harmonieuses de l'ensemble, derrière l'endémique vérole qui le taraude. Un an plus tard, la végétation envahissante a disparu : le Preah Ko se dresse en pleine lumière sur un soubassement restauré, auquel on a rendu ses trois degrés, la longueur exposition, archéologues à Angkor, Angkor, Conservation, archéologie, Cernuschi, architecture, restauration, Angkor Wat, Tah Prom, Banteay Srei, Bayon, Baphuon, Preah Kocomplète de son rebord arrondi et l'ornement récurrent des lions gardant les six tours. En 1962, enfin, une vue des trois tours Est de l'ensemble montre un temple parfaitement redressé, au pied duquel s'étalent des rectangles de pelouse alignés au cordeau, façon jardin à la française. Les empilements de briques des toit en cloche ont retrouvé leur silhouette caractéristique en cloche ; les gardiens du temple, sculptés dans des niches de part et d'autre de chaque porte, semblent avoir repris vie. La restauration est achevée.

D'autres chantiers font de la photographie un usage plus technique que celui de la simple mémorisation. "On a commencé la dépose des pierres de la bibliothèque nord en vue de sa reconstruction après prise de dessins, relevés et photos qui permettront de mener cette opération sans défaillance", écrit Henri Marchal, directeur de la Conservation d'Angkor, en 1934. Il vient de lancer un projet de grande envergure : l'anastylose du Banteay Srei, selon un procédé nouveau qui consiste à démonter un bâtiment pierre par pierre pour le reconstruire en solidifiant ses murs de voiles de bétons invisibles. Les pièces sont remontées selon la technique dominante à Angkor, qui joue sur une adaptation parfaite des blocs à leurs voisins par un ponçage systématique des surfaces de contact, en bannissant l'usage du mortier et ses joints trop apparents.

Chaque fragment ne peut donc occuper qu'une seule place dans l'édifice : la photographie sert alors à la fois à conserver une image du puzzle à recréer et à retrouver l'agencement des pièces d'un pan tombé en ruine, par comparaison de clichés de ses blocs . Le succès de la restauration du Banteay Srei, un ensemble de petite taille au grès rose très bien conservé, ouvre la voie en 1960 à l'anastylose de l'imposant Baphuon où la exposition, archéologues à Angkor, Angkor, Conservation, archéologie, Cernuschi, architecture, restauration, Angkor Wat, Tah Prom, Banteay Srei, Bayon, Baphuon, Preah Kophotographie joue un rôle plus important que prévu. En 1970, les Khmers Rouges prennent le pouvoir au Cambodge : ils chassent l'EFEO d'Angkor et brûlent une part des archives accumulées depuis 1901. Dans l'autodafé disparaissent les notes prises sur la dépose des pierre du Baphuon, qui enregistrent le format et l'emplacement de plus de trois-cent-mille pièces. Le gigantesque puzzle a perdu son modèle d'assemblage. Les images prises pendant la dépose des murs, dont les négatifs ont été conservés à Paris, aident l'EFEO à relancer le chantier à son retour en 1995. Le bâtiment sera inauguré en 2011.

L'utilité technique des photographies est donc indiscutable. Dans les galeries tamisées du musée Cernuschi, c'est aussi leur valeur esthétique qui s'impose. L'académisme semble l'emporter dans la composition : le cadrage place le sujet au centre, en respectant parfaitement l'horizontalité, l'harmonie de la perspective et la règle des trois tiers. La lumière uniforme provient invariablement du dos du photographe ; aucun jeu d’éclairage ne perturbe la lisibilité de l'image par les techniciens. L'idée première n'est pas de dérober à Angkor des informations personnelles, comme l'a fait plus tard Marc Riboud avec sa série de clichés organiques pris à l'occasion de la chute de Pol Pot. Il s'agit d'abord de servir l'archéologie et de présenter la splendeur du site au grand public en magnifiant ses traits les plus évidents, comme l'harmonie des tours d'Angkor Wat capturées de pleine face. Et pourtant, lorsque le sujet n'est plus strictement architectural, mais concerne l'un des doux visages de pierre du Bayon, ou les coulées des racines de banians mêlées aux murs de Tah Prom, même la raideur formelle du cadrage académique ne parvient à faire oublier le mystère qui plane dans les jungles d'Angkor.
 
Le 23/11/10
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Archéologues à Angkor - Archives photographiques de l'Ecole Française d'Extrême Orient
, jusqu'au 2 janvier 2011
Musée Cernuschi
7 avenue Vélasquez
75008 Paris
Tlj (sf lun) 10h - 18h
Tarif plein : 7 €
Tarif réduit :  5 €
Rens. : 01 53 96 21 50


Catalogue de l’exposition 256 pages / 148 illustrations : 29€


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Crédits et légendes photos
Vignette sur la page d'accueil : Ta Prohm, Débroussaillage des ruines, Inconnu © EFEO
Photo 1 Angkor Vat, Vue depuis le nord-ouest, moines puisant de l’eau dans les douves, Inconnu © EFEO
Photo 2 Neak Pean, Tour centrale, fausse porte nord avant dégagement, Inconnu.
Photo 3 Banteay Kdei Dépose de l’angle nord-ouest du pavillon d’entrée est de la quatrième enceinte, Inconnu © EFEO
Photo 4 Banteay Srei, Sanctuaire central, gardien de porte de la fausse porte ouest, Luc Ionesco © EFEO
Photo 5 Banteay Srei, Travaux d’anastylose de la bibliothèque nord, Inconnu © EFEO