L`Intermède


2. Tim Burton au MoMA : la fabrique des monstres
RASSEMBLANT DESSINS, figurines et autres pièces issus des collections privées de Tim Burton, de ses collaborateurs et des studios de cinéma, le Museum of Modern Art de New York, en collaboration avec le réalisateur, tient le pari de ne pas figer le cinéma de Timothy William B., et même d'en rendre toute la force graphique au travers d'un parcours riche, retraçant l'ensemble de la carrière du cinéaste. L'invitation à se perdre dans l'exposition Tim Burton est valable jusqu'au 26 avril.


Par Raphaël Blanchier

DANS UN CORRIDOR SOMBRE, les visiteurs s'entassent, indifférents aux gesticulations du vigile tim burton, burton, dossier, exposition, moma, exhibition, new york, rétrospective, dessin, cinéma, biographie, parcours, manuscrits, croquis, originaux, original, focus,qui leur demande de ne pas faire la queue, pour voir les premiers objets de l'exposition dont six épisodes d'un film d’animation, The World of Stainboy  (2000), où le personnage, issu du livre écrit et illustré par Tim Burton The Melancholy Death of Oyster Boy, mène des enquêtes aux côtés de la police de Burbank.


Once upon a time in Burbank

C'EST EN EFFET DANS CETTE VILLE de la banlieue de Los Angeles que tout commence. Tim Burton adolescent griffonne des personnages caricaturaux, reflet de la vie des suburbs. Sous son crayon, les rites sociaux deviennent hypocrisie superficielle, les nez revêtent des allures de triangles, les yeux sortent des orbites pour aller, au bout de tuyaux télescopiques, se promener sous les jupes. Comme un écho au grotesque carnavalesque dont parle Mikhail Bakhtine (1), le corps est mis à nu, grossi et caricaturé. tim burton, burton, dossier, exposition, moma,
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parcours, manuscrits, croquis, originaux, original, focus,"Tout ce qui dépasse" est accentué : nez, seins et fesses, oreilles, cheveux. Parfois, la couleur vient ajouter à la géométrisation des formes dans les dessins du jeune dessinateur de Disney. L'humour - grinçant et cynique - fait aussi partie de cette lecture du monde qui emprunte à l'expressionnisme et au pop art. Témoin, Man undressing woman with his eyes ("Homme déshabillant femme avec ses yeux") où l'expression est prise au sens le plus littéral... Sur ce thème du monstrueux-drôle au quotidien, une femme au visage couvert d'une dizaine d'yeux se dresse sur papier blanc, et à côté ces quelques mots :

 
One night in a bar
I had quite a surprise
I met a girl
Who had many eyes
She was really quite pretty
 (and also quite shocking !)
And I noticed she had a mouth
So we started talking.
(2)

LE MONSTRUEUX DEVIENT rapidement naturel dans ce monde étrange où, dans l'autre sens, les gens les plus normaux, par la pointe acerbe du dessin, deviennent des bouches pleines de dents, des yeux, des tuyaux d'aliens. Les figures sur les dessins de cette première section chronologique tantôt longilignes, tantôt hirsutes, annoncent aussi, par l'esthétique de l'assemblage, les créatures couturées et les chiens-Frankenstein à venir.
 


Les monstres de l’enfance

INSPIR
É EN PARTIE par le surréalisme, Tim Burton est aussi influencé par un certain expressionnisme. Si l'on compte peu de vampires traditionnels dans son oeuvre, les femmes harpies, aux yeux surmaquillés et aux cheveux hérissés, aux formes exagérées et aux dents prêtes à s'enfoncer dans la chair - avec de préférence un bras téléscopique ou une bouche mise en abyme qui en sort - sont légion. Le cannibalisme n'est jamais loin, exposition, tim burton, moma, new york, dossier,
edward aux mains d`argent, monstre, enfance, gothique, rétrospective,
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cinémaet l'humanité est mise à nu, non seulement socialement, mais jusqu'au squelette. Bien avant L'Étrange Noël de Monsieur Jack (1993) et Les Noces Funèbres (2004), on voit notamment un squelette se déshabiller, mais cette fois de sa peau humaine. Allégorie d'une humanité pervertie qu'il faut remettre en face d'elle-même ? Les aliens de Mars Attacks, de même, sont-ils si monstrueux ? La conception et le dessin des Martiens, expliqués par les schémas et figurines exposés, prouvent qu'ils possèdent une anatomie complète, dont le scaphandre n'est que l'enveloppe la plus extérieure. Chose étrange, leur cerveau est à l'extérieur du crâne : le travail sur le corps et l'anatomie n'est-il pas au service de la peinture, par son contraire apparent le monstre, d'une humanité pervertie ? Le conte de Mr. Jack est de même un appel à dépasser l'apparence pour voir l'humanité des monstres et la monstruosité des humains. Singes, aliens, et squelettes pourraient bien, malgré les apparences, tenir un discours connexe.

CE MONDE DE SORCIÈRES et de monstres où, de façon significative, dinosaures et autres chimères sont peu représentés, est surtout vu par les yeux de l'enfant. Monde cauchemardesque et monde macabre dialoguent dans un univers onirique où les sucreries cachent la sorcière, le sourire et le manège quelque mécanique infernale. L'enfant, qu'il s'agisse des personnages de Roald Dahl, Charlie ou James, ou encore du jeune Edward aux mains d’argent, tient en effet une place à part dans cette étrange mythologie qui échappe à une lecture purement sociale. Un court-métrage, la seule projection avec les épisodes de Stainboy dont il a été question plus haut, est là pour le rappeler : Hansel et Gretel, téléfilm de 1982, japonisant et riche en couleurs vives, difficile à visionner ailleurs que dans l'exposition. L'adulte, de ce point de vue, n'est qu'un malheureux qui a perdu son enfance, comme le Willy Wonka de Charlie et la Chocolaterie (2005).
 


Créatures et créateur
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L'ENFANT est lui-même un aliéné dans le monde des adultes. Figure récurrente dans les dessins de Burton, il est de préférence alité, noyé sous des tuyaux multicolores, sous le regard de vieillards sournois ou sous la forme de fillettes en robe claire et aux yeux exorbités, effrayantes, comme possédées, et en même temps si misérables. C'est que cette aliénation  adulte transforme l'innocence en monstruosité. Une petite fille tient avec tendresse dans ses bras un chien couturé à la Frankenstein, qui rappelle  Frankenweenie (1982), histoire d'un chien ressuscité par une décharge électrique. L'image de la créature forgée par l'assemblage de pièces séparées, en particulier grâce à l'énergie de l'orage et de préférence dans un lieu isolé, est l'un des thèmes gothiques favoris du réalisateur, tant sur grand écran que sur papier. L'épouvantail de Sleepy Hollow (2000) qui trône, imposant, à côté d'une figurine d'Edward, appartient aussi à cette galerie des créatures monstrueuses, et en même temps pleines d'un désir d'humanité. À l'oeuvre derrière cette topique de l'assemblage, se trouve la thématique de la création. Tous ces croquis et caricatures décomposant la mécanique des corps, en en déformant les volumes et les surfaces, ou en les disséquant jusqu'au squelette, lequel devient à son tour personnage à part entière, sont des fragments de la fabrique du créateur. Mais, à l'instar du génial chocolatier Willy Wonka, le créateur n'est jamais Dieu, et la créature est toujours imparfaite. Monstrueuse, elle voit dans son caractère composite, second, son étrangeté et sa faille. Car le plus dur n'est pas de créer le corps lui-même, la mécanique, mais de donner la vie.

DEVANT LES YEUX EFFRAYANTS d'inexpressivité des figurines brûlées du manège de la chocolaterie, qui terminent en beauté l'exposition, ou ceux qui tombent et se promènent, exorbités, d'esquisse en pastel, et de figurine en dessin, Tim Burton s'est heurté à la maxime qui veut que les yeux soient le miroir de l'âme : il faut en créer  qui signifieraient non l'aliénation, mais l'âme, le souffle de vie. De fait, le monde de cauchemar est sans issue puisqu'il se crée et se multiplie lui-même, les créatures étant faites de pièces détachées provenant d'autres créatures. On parle comme d'une évidence de "l'univers de Tim Burton", mais c'est un univers fragmenté, fragile, instable et menacé. Pas vraiment par la peur de la mort, en dépit des nombreuses figures gothiques et macabres qui le peuplent. Sous cet apparent pessimisme des personnages, des corps mis à nu par le regard et le pinceau, de la mise en mouvement de ces ricanements grinçants et de ces clowns problématiques naît la beauté artificielle et mécanique d'un monde menacé par le dérèglement de sa structure même. Mais qui, paradoxalement, ne perd rien de sa jovialité lugubre.

 



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R. B.
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à New York, le 19/03/10

Tim Burton
jusqu'au 26 avril 2010
Museum of Modern Art
11 West 53rd Street
New York City
Tlj (sf mar) : 10h30 - 17h30
Nocturne vendredi (20h)
Tarif plein : $ 20
Tarif réduit : $16 /  $ 12
Gratuit pour les enfants
Rens. : (+212) 708-9400






Tous les articles du dossier

Chapitre 1 : Les génériques des films de Tim BurtonTim Burton au MoMA de New York, jusqu`au 26 avril 2010Chapitre 3 : Alice au pays des merveilles sur grand écran le 24 marsChapitre 4 : Les entretiens de Tim Burton avec Mark Salisbury













Chapitre 5 : la `Dream Tim`, avec Johnny Depp, Helena Bonham Carter et Danny ElfmanChapitre 6 : Radiographie du cinéma burtonien au travers de la figure de l`enfantChapitre 7 : Les dessins et écrits de Tim Burton, au gré d`un recueil d`un contes et d`une anthologie de ses croquis.Chapitre 8 : Tim Burton, président du festival de Cannes 2010














Notes :
(1) in L’Œuvre de François Rabelais et la culture populaire du Moyen age et de la Renaissance (Moscou 1964, version française 1965)
(2) (Une nuit dans un bar / J'ai rencontré une fille / Qui avait plein d'yeux / Elle était vraiment pas mal / (et aussi vraiment choquante !) / Mais j'ai vu qu'elle avait une bouche / Et nous avons commencé à discuter)

Crédits et légendes photos :
Photo 1 Tim Burton at MoMA, Entrance to MoMA's Special Exhibitions Gallery. Entrance designed by TwoSeven Inc. Photo credit: Michael Locasiano
Photo 2 Tim Burton, The Green Man. 1996-1998. Oil and acrylic on canvas. Overall: 10 x 8" (25.4 x 20.3 cm). Private collection © 2009 Tim Burton
Photo 3 Tim Burton, Untitled (Tim Burton’s The Nightmare Before Christmas Sally). 1993. Polaroid. 33 x 22" (83.8 x 55.9 cm) Private Collection © 2009 Tim Burton
Photo 4 Tim Burton, Untitled (Trick or Treat). 1980. Pen and ink, marker and colored pencil on paper. Overall: 10 x 16" (25.4 x 40.6 cm). Private collection © 2009 Tim Burton
Photo 5 Tim Burton, Carousel. 2009. Epoxy, polyester resin, plasma ball, muslin, fiberglass, electric motor, rigid foam, styrofoam, fluorescent paint, and plastic filagree. 72 x 48 x 48". (182.9 x 121.9 x 121.9 cm). Private collection © 2009 Tim Burton. Photographer: Tom Mikawa
Photo 6 Tim Burton, Three Creatures, 2009. Steel, burlap, epoxy, polyester resin, paint, and rigid foam. 94 x 48 x 48" (238.8 x 121.9 x 121.9 cm); 84 x 48 x 37" (213.4 x 121.9 x 94 cm); 34 x 39 x 21" (86.4 x 99.1 x 53.3 cm) Private collection © 2009 Tim Burton. Photographer: Jason Mandella