L`Intermède

Galactic hits, exposition, musique, science-fiction, maison d`ailleurs, clips, affiches, pochettes, vinyles, space age, afrofuturisme, rock psychédéliqueGround control to major Tom
Si l'histoire de la science-fiction a trouvé des écrins de choix dans les pages de roman, bulles de bande dessinée et images sur grand écran, elle s'est aussi écrite sur des partitions musicales. La Maison d'ailleurs, en Suisse, en collaboration avec ô musique, a ainsi présenté au festival des Utopiales 2010 l'exposition Galactic Hits, qu'elle avait déjà accueillie entre ses murs plusieurs mois durant.  Plusieurs centaines de disques vinyles, extraits musicaux, clips et affiches explorent ainsi l'influence de la science-fiction sur les compositions musicales, du rock au funk en passant par le disco et l'électronique, traçant une autre histoire de la musique des années 1950 à 1990.

La musique en elle-même ne peut pas être de la science-fiction au sens strict. En revanche, les histoires que content les chansons, les titres ou les noms de groupes peuvent s'y rattacher. Et des éléments graphiques dans les clips ou sur les pochettes d'album y font parfois référence. David Bowie chante ainsi l'itinéraire de "l'homme des étoiles" en 1974 ("Starman") dans un album qui conte le parcours chaotique et tragique de Ziggy Stardust and the Spiders from Mars (Ziggy "poussière d'étoiles" et les araignées de Mars). Et le chanteur faisait déjà décoller une fusée dans "Space oddity" en 1969. Le groupe français Magma, de son côté, chante des textes écrits dans une langue extraterrestre, le kobaïen. Renvoi d'ascenseur : de grands dessinateurs du genre réalisent des illustrations de vinyles. H.R. Giger esquisse ainsi celle de Brain Salad Surgery de Emerson, Lake and Palmer en 1973 où trône un crâne humain au sein d'un décor métallique. Le travail de Roger Dean sur les visuels du groupe de rock progressif Yes, montrant des montagnes qui flottent dans les airs, s'inscrit aussi dans cette tradition. A rebours, le design argenté aux motifs géométriques des pochettes de la collection Prospective XXIe siècle a été repris pour orner les couvertures de l'une des plus célèbres collections de science-fiction en France, Ailleurs et Demain chez Robert Laffont. Prospective XXIe siècle proposait par ailleurs des disques de musique d'avant-garde telles que Visions cosmiques de Jean Guillou (1969) ou Persephasa de Iannis Xenakis (1969). Bref, l'union entre musique et science-fiction est bien consommée.

Face A - Influences réciproques
La musique s'empare des nouvelles technologies Galactic hits, exposition, musique, science-fiction, maison d`ailleurs, clips, affiches, pochettes, vinyles, space age, afrofuturisme, rock psychédéliqueparallèlement à l'exploration de leurs conséquences dans les romans de science-fiction. En 1937 naît ainsi la première oeuvre entièrement électronique, Fête des Belles Eaux d'Olivier Messiaen. La musique électronique, issue du monde technologique, s'est inspirée, en toute logique, des univers visuels de la cyberculture : du groupe allemand Kraftwerk au duo français Daft Punk, le robot est ainsi associé à cette musique de machines, de synthétiseurs et, plus tard, d'ordinateurs. Les expérimentations sur les sons s'imprègnent de visions futuristes : dans le dub par exemple, "le studio d'enregistrement jamaïcain a souvent été conceptualisé par ses pionniers comme un hybride de laboratoire, de vaisseau spatial, de temple, de jungle ou de tente de chamane", explique Michael Veal, qui a écrit un ouvrage sur le sujet.

C'est à l'imagerie de science-fiction, qui provient à l'origine des couvertures colorées des pulps, qu'empruntent volontiers le graphisme d'une partie des 324 pochettes de disques accrochées dans Galactic Hits, tous styles musicaux confondus. Car la SF n'est pas l'apanage de la pop ou du rock, mais flirte également avec le disco, le funk ou le jazz. On y retrouve le thème de l'invasion extraterrestre et des vaisseaux spatiaux, parfois sur le mode de la parodie. La pochette de Aliens ate my Buick (!) de Thomas Dolby est un hommage humoristique aux couvertures des pulps : au premier plan se détache un couple dont la jeune femme terrifiée s'accroche à son compagnon, alors que des extraterrestres sortant d'une soucoupe s'acharnent, au second plan, sur une voiture décapotable rouge.  Aucun style musical n'y échappe, créant parfois les associations les plus inattendues, comme les Ames brothers posant en smoking sur un fond lunaire pour la pochette de l'album Destination Moon (1958). Dans le funk, George Clinton a, quant à lui, décliné cet univers non seulement sur les pochettes mais aussi dans la scénographie de ses concerts, puisque les incantations du groupe faisaient venir un vaisseau-mère qui descendait sur scène lors du morceau "Mothership connection" sur la tournée P-Funk Earth Tour. "J'entends le vaisseau-mère arriver, je vois le vaisseau-mère arriver", scande en anglais le chanteur du groupe durant l'atterrissage de la soucoupe.

Galactic hits, exposition, musique, science-fiction, maison d`ailleurs, clips, affiches, pochettes, vinyles, space age, afrofuturisme, rock psychédéliqueAu-delà même d'influences réciproques, musique et science-fiction piochent parfois dans la même banque imaginaire. La conquête spatiale après la seconde guerre mondiale alimente la littérature mais donne aussi naissance à ce que l'on a appelé la pop "space age", où l'on n'hésite pas à employer les dernières technologies pour créer un sentiment d'étrangeté. De même, les visions cosmiques nourrissent, dans les années 1960, l'afrofuturisme, représenté notamment par le pianiste  de jazz Herman Poole Blount, alias Sun Ra. Space is the place, clame son film en 1974, dont le titre indique bien le mélange des références égyptiennes à des allusions aux extraterrestres et à la technologie spatiale. John Coltrane lui-même, avec Interstellar Space (1974), subit cette influence d'images de l'espace. La science-fiction déploie de fait un univers qui permet d'explorer des questions métaphysiques - l'exploration spatiale comme image d'une quête spirituelle -, sociales ou politiques - le rapport de l'homme à la technologie, à la société de consommation, à l'information - et ces problématiques sont explorées par les musiciens à travers le prisme des motifs science-fictionnels : l'image du cyborg et du robot qui se développe dans la musique électronique pose ainsi la question de la définition de l'humain dans le monde contemporain. Dans les décennies 1960-1970, acmé des liens entre musique et science-fiction, les deux formes artistiques se rejoignent au sein d'une contre-culture formée de rock psychédélique, de recherche d'autres niveaux de conscience par les drogues, de concepts-albums parfois inspirés d'oeuvres de science-fiction et de romans d'une nouvelle génération d'auteurs qui dynamitent les clichés qui s'étaient imposés. Une ouverture vers d'autres horizons, en somme. 

Face B - Musique, cinéma et science-fiction
Mais quelle musique peut bien jouer un groupe d'extraterrestres? Depuis Le Retour du Jedi (1983) et sa célèbre scène de la Cantina,  nous le savons : on y voit des aliens aux formes hétéroclites interprêter une sorte de jazz from outer space entraînant et festif. Quel est l'artiste préféré du méchant dans les comics ? Prince, bien sûr, qui accompagne royalement, avec le morceau "Partyman", le saccage d'un musée par le Joker dans Batman de Tim  Burton (1989). Au-delà de ce rapport humoristique et anecdotique à la musique, le cinéma est bien sûr aussi un lieu de conjonction entre musique et science-fiction. Figure de proue de ces allers-retours : David Bowie qui, dans les années 1980, prête son physique étrange et androgyne à L'homme qui venait d'ailleurs.  D'autres stars suivent le mouvement : Sting, dont la beauté s'envenime au service du baron Harkonnen dans le rôle de Feyd Rautha (Dune, David Lynch, 1984) ou  encore Tina Turner dans le troisième opus de la saga Mad Max, Au-delà du dôme du tonnerre Galactic hits, exposition, musique, science-fiction, maison d`ailleurs, clips, affiches, pochettes, vinyles, space age, afrofuturisme, rock psychédélique(1985). Si l'on associe assez facilement le rock aux films de science-fiction en raison des bandes originales composées par Queen ou Toto et si la musique électrique, voire électronique, fait écho intrinsèquement à la vision futuriste ou du moins contemporaine de la science-fiction, l'une des plus grandes bandes originales de film du genre est pourtant composée pour l'essentiel de musique classique : ce choix fondamental de Stanley Kubrick dans 2001 : L'odyssée de l'espace (1968) contribue largement à l'inscrire comme un jalon du genre. "Ainsi parlait Zarathoustra" de Richard Strauss concourt ainsi au sublime de la vision cosmique qui ouvre le film.

Même si cela est rare, la musique a pu jouer un rôle narratif dans certains films. Tim Burton, notamment, avec un humour potache, s'amuse à détruire les aliens grâce à la musique fatale de Slim Whitman et de son titre "Indian Love Call" qui fait exploser dans leurs casques les crânes des envahisseurs dans un régal dégoulinant de gelée verte dans Mars Attacks (1996), dont l'ensemble de la bande originale composée par Danny Elfman est un tohu-bohu jouissif fait de musique rétro et de sons insolites qui font écho à l'esthétique graphique du film, hommage aux films de science-fiction des années 1950. Si dans Contact de Robert Zemeckis et bien d'autres oeuvres, la communication avec des extraterrestres passe par le discours universel des mathématiques, Steven Spielberg, dans Rencontres du troisième type, (1977) avec le talent de conteur et de créateur d'images qu'on lui connait, choisit la musique comme langage. Sous le regard du chef d'orchestre d'un jour, François Truffaut, et de Richard Dreyfuss, cinq notes pianotées sur un synthétiseur géant auxquelles répond le ballet des vaisseaux spatiaux, entrent dans la légende du cinéma de science-fiction. La boucle est bouclée.
 
Claire Cornillon
Le 05/01/10
Galactic hits, exposition, musique, science-fiction, maison d`ailleurs, clips, affiches, pochettes, vinyles, space age, afrofuturisme, rock psychédélique
Galactic Hits
une exposition organisée par La Maison d'ailleurs
Yverdon en Suisse
présentée aux Utopiales à Nantes
du 12 au 14 novembre 2010


Cet article fait partie du dossier SF : Demain, l'humain







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Légendes et crédits photographiques:
Vignette page d'accueil : Herbie Hancock Head Hunters 1973, columbia Coll. Maison d'Ailleurs
1 Commander Cody and his lost planet airmen Commander Cody and His Lost Planet Airmen 1975, warner bros. records Coll. Maison d'Ailleurs
2 Kraftwerk Die Mensch-Maschine 1978, kling klang Coll. Maison d'Ailleurs
3 Les Baxter Space Escapade 1957, capitol records Coll. Maison d'Ailleurs
4 David Bowie Space Oddity 1972, rca victor Coll. Maison d'Ailleurs
5 pochette de disque typique du style space age pop en vogue dans les années 50-60 (Bobby Christian, Strings for a Space Age, 1962) Coll. Maison d'Ailleurs