L`Intermède
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C'EST SANS DOUTE l'un des derniers sommets de la carrière de John Ford : L'homme qui tua Liberty Valance, réalisé en 1962 et réédité en DVD cette année, clôt la boucle de plus de 45 ans de réflexion sur l'Amérique et ses mythes fondateurs. Avant-dernier western du cinéaste et tout dernier avec son acolyte John Wayne, tourné dans un humble noir et blanc, le film semble faire figure de testament : il marque en tout cas le passage à une nouvelle génération de réalisateurs, celle des Sam Peckinpah, Arthur Penn et autres Sergio Leone, tous chargés de renouveler un genre que "l'Amiral John Ford" a, de fait, porté à son apogée.

Par Thibaut Matrat
 
DEPUIS LE LOINTAIN, un train à vapeur massif approche, crachant une fumée noire dans toute la vallée. Et déjà, c'est comme si tous les films de Ford étaient laissés derrière lui. Par ce train arrivent à Shinbone le célèbre Sénateur Stoddard (James Stewart) et sa femme Hallie (Vera Miles), pour assister à un enterrement. Mais personne, à commencer par la presse locale, ne sait qui est ce feu "Tom Doniphon" pour lequel le l`homme qui tua liberty valance, l`homme, tua, liberty, valance, the man, shot, the man who shot liberty valance, john ford, john wayne, james stewart, analyse, dvd, sortie, cinéma, film, interviewsénateur a fait le voyage. "J'ai le droit de le savoir", insiste le rédacteur en chef, pénétrant dans la petite salle de pacotille où gît le cercueil. Bien qu'amer, le sénateur Ransom Stoddard, aussi appelé "l’homme qui tua Liberty Valance", lui accorde ce droit : époussetant une vieille diligence à l'arrêt, il se met à raconter son histoire, et un long flashback commence.


Hiatus

C'EST DÉJÀ PAR SA CONSTRUCTION NARRATIVE que L'Homme qui tua Liberty Valance attire l'attention : le film contient plus de passé que de présent, n'étant en tout et pour tout qu'un immense flashback. Un flashback qui a pour fonction de venir éclairer cette première arrivée à Shinbone, en opposition complète avec elle. Rarement début de film aura été plus mélancolique : "Le sénateur Stoddard est le seul qui soit encore à sa place", confie l'ancien shérif, Link Appleyard, à Hallie, alors qu'ils visitent tous deux les alentours délabrés de la ville. Pendant ce temps, le sénateur en question force sa voix devant les journalistes, déambulant dans une Shinbone moderne, au son omniprésent du train. John Ford semble s'ingénier à filmer une ville presque fantôme, ôtant tout ce qui peut paraître superflu à sa mise en scène, mais qui en constitue en réalité la périphérie nécessaire : plus de scènes de bar, plus de camaraderie rieuse, plus de multiples individualités soutenant une même communauté ; mais bien seulement le strict nécessaire des personnages "utiles", sur lesquels un lourd secret semble peser.
 
PUIS VIENT CE RÉCIT du passé, cette renaissance du souvenir qui permet d'en apprécier les différences. Ransom Stoddard est alors un tout jeune avocat de 25 ans, fraîchement diplômé, en route pour la ville de Shinbone. Avant même d'en avoir franchi le seuil, il est arrêté et agressé par Liberty Valance, la terreur de la région - incarné par Lee Marvin. Le personnage de James Stewart est recueilli et soigné par la famille d'Hallie, sa future femme, courtisée alors par le charismatique Tom Doniphon (John Wayne). Furieux, et l`homme qui tua liberty valance, l`homme, tua, liberty, valance, the man, shot, the man who shot liberty valance, john ford, john wayne, james stewart, analyse, dvd, sortie, cinéma, film, interviewfort de sa qualité d'avocat, Ransom Stoddard se met en tête de traîner en justice Liberty Valance : "C'est l'Ouest, ici, pèlerin, dit Wayne à Stewart, lui riant au nez. Tes bouquins valent rien contre les flingues." De plus, à Shinbone, le shérif n'a qu'une seule cellule dans sa prison, dont la serrure est cassée, et dans laquelle c'est lui-même qui dort.

OUTRE CETTE OPPOSITION, manifeste, entre une communauté aux institutions bien ancrées et une ville de l'Ouest sous la Loi du plus fort, Ford filme littéralement Shinbone passée et Shinbone présente comme "le jour et la nuit" : systématiquement, la ville au présent est vide et vue de jour ; tandis que, durant le flashback, elle est filmée de nuit, pleine de monde et de vie. La pléthore de personnages déjà entrevus au début du film (Woody Strode, Andy Devine et une bonne partie de la "troupe" de Ford) est alors retrouvée, dans la bonne humeur fordienne. Le groupe fonctionne, presque mécaniquement : ainsi de cette séquence où Tom Doniphon et le journaliste Peabody se donnent en spectacle improvisé devant toute la petite communauté, de laquelle s'échappe un rire collectif à chaque gag bien orchestré. Une complicité qui permet, malgré l'absence de règles, de faire en sorte que les conflits se résolvent d'eux-mêmes, au bar. Le juridique, comme bien souvent chez John Ford, se confond avec la bouteille. "Tribunal fermé, bar ouvert !" est, de fait, une phrase-clé chez le cinéaste.


Triangle

CE TRISTE PRÉLUDE produit néanmoins son effet : il fait peser sur le film entier une certaine fatalité. Le spectateur sait que Stoddard va abattre Liberty Valance, qu'il se mariera avec Hallie, et que Tom Doniphon sera oublié de tous. Il va maintenant apprendre comment. La tragédie tient à ce que le duel de Stoddard contre Liberty Valance, ce duel sur lequel le sénateur va édifier toute sa future carrière, n'en est en réalité pas un : par un procédé très ingénieux, et depuis massivement commenté, John Ford montre deux fois la confrontation, sous deux angles différents. La première fois, aucun doute : pour le spectateur comme pour le l`homme qui tua liberty valance, l`homme, tua, liberty, valance, the man, shot, the man who shot liberty valance, john ford, john wayne, james stewart, analyse, dvd, sortie, cinéma, film, interviewpersonnage de James Stewart, Ransom Stoddard a tué Liberty Valance. Vingt minutes plus tard intervient la seconde occurrence du "duel", par un flashback dans le flashback : John Ford cadre alors la même scène depuis un autre angle, changeant de perspective et ajoutant à la ligne droite du duel (Valance-Stoddard) un autre point, à savoir John Wayne. Ainsi, un triangle se forme et le spectateur découvre que c'est en réalité Tom Doniphon qui, d'un coup de fusil au moment opportun, a tué Liberty Valance, permettant par-là à Ransom de conquérir la gloire ainsi qu'Hallie, la fille dont il rêvait tant. Le personnage de John Wayne, le vrai "homme qui tua Liberty Valance", condamné à rester dans l'ombre, dans les coulisses de l'Histoire, se rapproche bien des plus grands destins tragiques : "J'arrive trop tard", dit-il, tout simplement.

L'HOMME QUI TUA LIBERTY VALANCE est l'histoire d'une communauté fonctionnant en autonomie (d'un centre – Shinbone) dans laquelle arrive depuis le dehors (la périphérie – le monde moderne) un élément étranger - Ransom Stoddard (le représentant de la Loi). L'ensemble du film est construit selon ce motif triangulaire : il y a bien un triangle amoureux (entre Tom, Ransom et Hallie), un triangle de pouvoir (entre Tom, Ransom et Liberty Valance) et quelque chose comme un triangle temporel (Tom, représentant le vieil Ouest ; Ransom, incarnant le monde moderne ; et Shinbone, symbolisant l'espace à conquérir). Et ce motif triangulaire doit nécessairement se résoudre en droite, en ce que l'un de ces termes doit disparaître, par la force des choses : ainsi de Tom Doniphon, de Liberty Valance, et du monde mythique de l'Ouest.


Ombre

AVEC CETTE LUTTE TRIPARTITE, c'est non seulement une certaine idée de l'Ouest que le cinéaste enterre, mais également une certaine idée du cinéma : adepte des mises en abyme, John Ford ne choisit évidemment pas John Wayne "par hasard". John Wayne, l'acteur qui a "joué le même rôle toute sa vie", représentant de l'Ouest pur et dur, doit ici s'effacer au profit du frêle James Stewart - symbolisant, quant à lui, par des films comme Mr Smith au Sénat (1939), une certaine naïveté de la démocratie. C'est aussi, en 1962, l'idée que le classicisme vieillissant doit s'effacer devant la modernité cinématographique. L'ultime ironie de Ford étant qu'en réalité, ce n'est pas tant un effacement qu'une aide secrète : l'acte de Wayne est fondateur en ce que, en lieu et place d'une justification de la force (inhérente au vieil Ouest), il opère une fortification de la justice.
 
CETTE MARCHE DU PROGRÈS, cette arrivée de la modernité représentée par Ransom, est bien plus montrée comme un mécanisme fatal, impliquant des sacrifices, que comme une chose bonne en soi. L'installation progressive des institutions - les panneaux d'élections sont encore en carton-pâte, le drapeau l`homme qui tua liberty valance, l`homme, tua, liberty, valance, the man, shot, the man who shot liberty valance, john ford, john wayne, james stewart, analyse, dvd, sortie, cinéma, film, interviewaméricain dans la petite salle de classe est manufacturé -, nécessaire, ne se construit d'ailleurs pas sans le mythe : elle prend littéralement appui dessus. Sans Tom Doniphon, pas de sénateur Stoddard. Mais pour autant, comme le conclut le rédacteur en chef une fois le flashback terminé : "C'est l'Ouest, ici. Quand la légende dépasse la réalité, imprimez la légende." Et cette légende de l'Ouest sur laquelle l'État s’est bâti présuppose, bien évidemment, qu'une des faces du triangle reste cachée à jamais. L'Histoire s'écrit sur les ombres. Et tant pis, semble nous dire John Ford, pour tous les Tom Doniphon et les anonymes de l'Histoire, passés et à venir.

T. M.
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à Paris, le 23/07/2012

L’homme qui tua Liberty Valance (The man who shot Liberty Valance)
Western américain de John Ford, 1962
Avec John Wayne, James Stewart, Vera Miles, Lee Marvin, Andy Devine, etc.
Réédition en DVD et Blu-Ray en France le 27 Mai 2012
Durée : 1h58


 



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