L`Intermède
Green Zone, l'éclat des balles qui sifflent
Retour en Irak. Un peu plus d'un mois après le succès de Démineurs de Kathryn Bigelow aux Oscars - six statuettes, dont celles du meilleur film et de la meilleure réalisation -, la guerre en Irak reprend du service. Derrière la caméra, le Britannique Paul Greengrass ; devant, l'Américain Matt Damon. Les deux hommes ont déjà collaboré sur la trilogie Jason Bourne (La mort dans la peau et La Vengeance dans la peau). Mais ne  Cinéma, Paul
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Rian, Brendan Gleesonpas y voir un quatrième volet des aventures de l'espion amnésique version proche-orientale… Cette fois-ci, c'est plutôt la mémoire du héros qui pose problème. Titre de ce thriller qui oscille entre film d'action, drame de guerre et réquisitoire politique : Green Zone. Dans les salles à partir du 14 avril. Le gilet pare-balles est recommandé.

De la première à la dernière image, sur deux heures de pellicule, pas un seul instant de répit. Green Zone a à peine commencé qu'il propulse le spectateur contre le dossier du fauteuil par la rafale de déflagrations qui secouent Bagdad, en ce printemps 2003 qui voit les forces américaines envahir l'Irak. Vous ne mesuriez pas l'amplitude, le degré, le vacarme d'une attaque de pareille ampleur ? Ce prologue le fait éprouver de façon sensationnelle par écran interposé, grâce au cadre vacillant, à l'usage de la caméra à l'épaule, à tous les ingrédients du documentaire : un groupe d'hommes tente d'échapper à la pluie de bombes qui s'abat sur la capitale - rien des frappes "chirurgicales" qui caractérisent les guerres modernes et prétendument "propres" -, et plus particulièrement sur le quartier où cette première séquence filmée sur le vif est en train de se jouer de nuit, comme en temps réel. Si ce préambule renseigne sur le sentiment de fin du monde provoqué par des bombardements nourris, il indique aussi que nous sommes côté irakien. Ce qui, au-delà du style haletant qui est en quelque sorte la griffe du réalisateur de Vol 93, renouvelle le genre. Si l'on se fie en effet aux films "occidentaux" sur l'invasion de l'Irak par les troupes américaines qui ont été tournés depuis le déclenchement des hostilités il y a sept ans, tous ou presque décrivent le calvaire, la détresse ou les exactions des soldats américains, lancés dans un conflit dont le sens échappe, sans jamais faire parler la conscience morale de ceux qui ont été envahis, puis trahis.
 
Certes, le titre ne fait pas fausse route : Green Zone ("Zone Verte") fait bien référence à cette enclave hautement sécurisée où le commandement américain a établi son QG, dans les palais des anciens dignitaires du régime de Saddam Hussein aux premiers temps de la guerre, autrement dit avant que le pouvoir ne passe aux mains du gouvernement provisoire irakien. Certes encore, sur l'affiche du film - qui joue sur la filiation avec Jason Bourne -  Cinéma, Paul Greengrass, Green Zone, Irak, Matt Damon, Jason
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Helgeland, Greg Kinnear, Amy Rian, Brendan Gleesonse détache, sans l'ombre d’un doute, le visage de Matt Damon, incarnation de l'Américain avec un A majuscule tel que le monde entier le rêve(rait), et héritier sans tâche et sans reproches d'un Gary Cooper ou d'un James Stewart, et qu'à ce titre, il portera toute l'action du film sur ses épaules. Mais ces deux indices ne concourront, jusque dans leur franche opposition - là encore l'affiche dit tout, dans cette façon aussi sobre qu'éloquente de mettre pour ainsi dire dos à dos l'acteur et le titre -, qu'à donner, au propre comme au figuré, le mot de la fin aux Irakiens, rendant du même coup plus absurde encore la présence américaine, et toute cette agitation meurtrière. Tant dans ses desseins que dans ses conséquences.

La guerre déclarée et les Américains installés en Irak…Le film peut commencer, sous l'autorité du sous-officier Lee Miller (Matt Damon) dont la mission consiste, plans en main, à trouver les armes de destructions massives qui ont motivé et justifié l’attaque des Etats-Unis et de leurs alliés britanniques. Un travail aussi périlleux que celui des démineurs, d'autant que la présence des soldats US, déjà, n'est plus guère appréciée par les autochtones qui multiplient les embuscades. Pas la peine, là encore, de grand discours. En une seule scène, Paul Greengrass expose la "faillite irakienne" : d'un côté, le mensonge, de l'autre, la déception. Car - et c’est bien la première fois que le réalisateur britannique fait ouvertement preuve d'humour sur grand écran - que trouvent les hommes suréquipés de Miller dans l'entrepôt soupçonné d'abriter les pires armes chimiques ? Des bidets et des wc… ! Sacré pétrin, pour rester sobre. Dès lors, Miller, irrité de voir la vie de ses soldats mise en danger pour rien (ou si peu) et se sentant vaguement manipulé, va tenter de se dépêtrer dans ce qui n'est pas loin de ressembler à un bourbier.
 
Aidé par un agent de la CIA, aussi déterminé que lui à identifier la source prétendument fiable qui aurait renseigné le Pentagone sur la présence d'armes de destruction massive sur le sol irakien, le militaire se lance dans une course contre la montre menée à un rythme d'enfer pour mettre la main sur un ancien haut officier irakien ; en fait, un témoin essentiel que le FBI entend bien supprimer pour ne pas compromettre ses plans et surtout ne pas risquer de voir ses agissements étalés au grand jour. Aux côtés de Lee Miller qui n'a plus qu'une étique poignée d'hommes avec lui - les autres membres de son unité ayant refusé de le suivre sur ce terrain-là - un traducteur kurde irakien, rescapé de la guerre contre l'Iran, et farouchement contre le parti Baas, celui des partisans de l'ex-dictateur. Adrénaline et intuition… A la manière de Jason Bourne, Lee Miller est tendu vers un seul but : la découverte de la vérité, quel qu'en soit le prix à payer, de manière presque viscérale, soutenu par la fébrilité de la caméra et l'extrême nervosité du montage. Pour bondissante qu'elle soit, l'intrigue n'en  Cinéma, Paul Greengrass,
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Helgeland, Greg Kinnear, Amy Rian, Brendan Gleesonreste pas moins d'une clarté d'autant plus remarquable qu'il n'est, à aucun moment, possible d'appuyer sur la touche "pause". Une épure qui n'est pourtant pas simplification ou même falsification, ce qui du reste se révélerait un comble compte tenu de l'objectif de Miller et, à travers lui, du cinéaste.
 
Basé sur le roman à succès de l'ancien responsable du bureau du Washington Post dans la capitale irakienne, Rajiv Chandrasekaran, Dans la Zone Verte : les Américains à Bagdad, le film de Paul Greengrass ne prend pas de gants, dénonçant tour à tour l'incompétence coupable et le double langage de l'administration Bush ainsi que la presse américaine, à travers le personnage de Lawrie Dayne, l'envoyée spéciale du Wall Street Journal, qui se contente de relayer la propagande yankee. Si le réalisateur britannique, qui fut journaliste avant de tourner son premier film en 2002 (Bloody Sunday, Ours d'or à Berlin), s'en prend ouvertement aux dérives du pouvoir politique, il exhorte d'une certaine façon l'initiative individuelle, seule capable de faire capoter les plus viles manœuvres, dussent-elles émaner d'un gouvernement aussi puissant que celui des Etats-Unis. Cette morale de l’engagement, Paul Greengrass l'avait déjà développée dans Vol 93, récit de la révolte des passagers du vol 93 d'United Airlines contre des pirates de l’air, le 11 septembre 2001, et qui grâce à leur action ont empêché que l'avion ne s’écrase sur le Capitole. En tant que soldat, Miller fait pareillement le choix de désobéir, pour ne pas se faire plus longtemps le complice ou le bras armé d'un gouvernement au discours aussi opaque que malhonnête.
 
Mais le cinéaste ne s'exprime pas qu'à travers son acteur fétiche, un Matt Damon singulièrement affûté et concerné par la cause qu'il défend. Sa voix passe aussi par celle du traducteur, le porte-parole en quelque sorte du peuple irakien. Le singulier pour dire le tout, à commencer par l'incompréhension de toute une population devant une armée censée être venue pour les libérer et les soutenir et qui, en réalité, les soupçonne, les arrête, les torture, et par le ras-le-bol de se voir imposer des décisions sans la moindre concertation. De ce point de vue, la description même hyper rapide de la fameuse Zone Verte du titre raconte bien l'intolérable décalage entre des Américains qui, sur une zone d’environ 12 km2 ont reproduit une espèce  Cinéma, Paul Greengrass,
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Helgeland, Greg Kinnear, Amy Rian, Brendan Gleesond'american way of life sans se soucier le moins du monde de ce qui se trame tout autour de leur bulle néo-coloniale, et les attentes des Irakiens qui souhaiteraient tant qu'on cesse enfin de décider en leur nom. Tout le sens du règlement de compte final et de cette interrogation légitime et pleine de ressentiment que le traducteur adresse à Miller : "Le peuple irakien peut-il décider de ce qui se passe ici ?" Plus loin, au bout, un plan sur un gisement pétrolier.

Même la machination éventée, le film s'achève sur une incertitude, lourde d'inquiétudes voire de menaces pour l'avenir de ce pays. Mais l'essentiel ne tient-il pas dans cette lucidité qui fait désormais la force de Miller ? Car même devant les illusions perdues, devant les désenchantements, il y a plus à perdre à se coucher. C'est ce pessimisme très éloigné de l’archétype du héros invincible et solitaire qui confère à Green Zone toute sa crédibilité. Même dans le pire des chaos, il suffit de la foi d’un homme pour bousculer l'hydre du pouvoir avec ses multiples nuisances et ses criminelles appétences. Et tant pis, encore une fois, si Miller a un faux air de Sisyphe en treillis… Voué, condamné à une lutte sans fin.
 
Elisabeth Bouvet
Le 08/04/10

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Green Zone, film de guerre de Paul Greengrass
Avec Matt Damon, Amy Ryan, Greg Kinnear...
1h55
Sortie le 14 avril 2010











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