L`Intermède
Des Hommes et des Dieux de Xavier BeauvoisDon et lumière
Grand Prix du dernier Festival de Cannes, le nouveau long métrage de Xavier Beauvois - son cinquième en presque vingt ans - revient sur l'enlèvement puis la mort, en 1996, de sept moines français installés dans le monastère de Tibéhirine, durant le conflit qui opposait l'Etat algérien et la guérilla islamiste. Ni film à thèse ni reconstitution historique, Des Hommes et des Dieux, en salles le 8 septembre, se veut davantage une réflexion sur l'engagement moral d'hommes qui n'avaient pas vocation à mourir, mais pas davantage à renoncer à leur idéal d'amour et de paix.
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Ce serait une erreur d'imaginer que le film de Xavier Beauvois cherche à élucider le mystère de l'enlèvement puis de l'assassinat, au printemps 1996, des sept moines français de Tibéhirine, dans les montagnes de l'Atlas, au plus fort de la guerre civile algérienne. Une enquête est en cours, relancée par de récentes révélations qui tendraient à écorner la thèse officielle. Mais ce n’est pas sur ce terrain-là que se place le réalisateur. Si Xavier Beauvois tente de percer un mystère, c'est celui de cette communauté d'hommes qui, au terme d'un parcours fait d'épreuves, de doutes et de larmes, accepteront en leur âme et conscience de ne pas partir, de ne pas renoncer à porter et défendre la parole de Dieu, là où la religion est pourtant devenue prétexte à contraindre, avilir et égorger.

La paix contre la terreur, la lumière contre les ténèbres… Au nom d’une transcendance qui se veut d'abord et avant tout concordance et fraternité avec les hommes, tous les hommes. "Vous êtes la branche sur laquelle nous pouvons nous poser", diront les villageois musulmans à ces moines en proie au désarroi quand la menace se fait de plus en plus prégnante, de plus en plus proche. Du générique du début à celui de la fin, Des Hommes et des Dieux se place de leur point de vue, épouse leurs atermoiements, rend compte de leurs interrogations. Au rythme qui Des hommes et des dieux, xavier beauvois, film, cinéma, critique, avis, long métrage, lambert wilson, festival de cannes, monastère, moine, moines, tibéhirine, atlas, michael lonsdale, drame, algérieest le leur, celle d'une vie construite autour de la prière, des chants liturgiques, de la contemplation, des travaux manuels, de la lecture et, pour l'un d’entre eux, frère Luc, des visites au dispensaire où il reçoit les malades auxquels ils prodiguent médicaments, et vêtements aux plus démunis.

Comment rendre compte de cette quête spirituelle, sinon en se calant sur la lenteur de l'existence dépouillée et silencieuse de ces moines qui appartiennent à l'ordre cistercien. Xavier Beauvois ne craint pas de s'emparer du rituel hérité de la Règle de Saint Benoît, le père du monachisme en Europe, et de l'imposer dans son étirement, dans sa densité. A cet égard, la scène d'ouverture résume les intentions du cinéaste. C'est l’aube, l'heure de la première prière. Dehors, il fait à peine jour, on imagine la fraîcheur qui enrobe encore le paysage assoupi. Dedans, à l'intérieur du monastère, les moines se lèvent les uns après les autres, la caméra les saisit dans le couloir qui mène aux chambres, et dont ils sortent un peu défaits, pas très bien réveillés. Il faut voir le pas hésitant de frère Amédée, le plus âgé de la communauté, frôlant les murs et qui, d'une main étique, tente d'aplatir, dans un geste machinal, ce qu'il suppose être un épi rebelle. Pas un bruit, sinon le son du froissement des aubes blanches que les moines enfilent, presque à tâtons, pour la première prière de la journée.

C'est cette simplicité, cette attention aux sons, cette vérité de chaque instant pris et vécu dans sa totalité qui fait la beauté du long métrage de Xavier Beauvoix. Et jamais le réalisateur ne dérogera à cette ponctuation sans précipitation, même quand sonne l'heure tant redoutée de la confrontation avec les combattants du FIS, le Front Islamique du Salut, qui se sont abattus sur la région et ont déjà assassiné des ouvriers croates sur un chantier voisin. Les moines s'apprêtent à célébrer Noël, et la naissance du messie, quand les terroristes font irruption dans le monastère en quête de médicaments et d'un médecin pour leurs blessés. Les Des hommes et des dieux, xavier beauvois, film, cinéma, critique, avis, long métrage, lambert wilson, festival de cannes, monastère, moine, moines, tibéhirine, atlas, michael lonsdale, drame, algériemoines, par la voix de leur prieur, le père Christian, refusent de se déplacer, mais vont accepter d'accueillir les souffrants pour les soigner. C'est là qu'intervient l'une des scènes-clé du film : la poignée de mains entre le chef des islamistes et le prieur.

Et c'est probablement ce geste entre deux positions irréconciliables qui déterminera chacun des moines, même parmi les plus récalcitrants, à ne pas fléchir, autrement dit à opposer à la violence comme mode d'asservissement des esprits, la force de l'amour. Son exemplarité, au risque de ne plus être compris par les autorités algériennes, et de se retrouver ainsi à cheminer à la façon d'un équilibriste entre deux extrêmes quand les moines refuseront toute espèce de protection de la part de l'armée. Mais avant d'en arriver là, le chemin aura été long. Les moines auront dû surmonter leurs divisions internes, et pour certains, leur profond désarroi quand, appelant, espérant une réponse, ils n'entendent plus rien. On n'est pas loin du dilemme pascalien. La nuit s'emplit alors de leurs prières vaines, de leurs larmes d'impuissance, et de leur rage, pour certains, à se sentir malheureux sans Dieu. Dans ce désert, pourquoi faudrait-il mourir ? Si ce n'est, et c'est la conclusion à laquelle tous finiront par aboutir à force d'échanges en tête à tête et de délibérations communes, que ce don de soi, ce martyr n'a rien à voir avec la mort, mais avec la vie. Et comme lors du premier matin, ils parleront de nouveau d'une seule voix. Dans un chœur d'hommes libres, libres parmi leurs frères.
 
Xavier Beauvois raconte qu'il a envoyé tous ses acteurs apprendre à chanter dans une église. "A raison de plusieurs fois par semaine pendant deux mois, ils ont appris à être ensemble et à chanter ensemble avant même de venir sur le plateau. […] Je les ai aussi envoyés en retraite au monastère de Tamié. […] Ils sont arrivés sur le tournage avec des liens forts." Si forts et si vrais que la longue scène où le cinéaste les filme, à table, buvant du vin pour célébrer leur entente retrouvée, portés par le lyrisme du Lac des cygnes de Tchaïkovski, s'impose comme allant de soi. Jusque dans cette manière de s'attarder sur chacun des visages qui composent cette cène, dans une série de gros plans presque osés. Là encore, pas de mots, pas de bruit, juste cette musique à travers laquelle ces hommes communiquent, se comprennent et témoignent de leur joie Des hommes et des dieux, xavier beauvois, film, cinéma, critique, avis, long métrage, lambert wilson, festival de cannes, monastère, moine, moines, tibéhirine, atlas, michael lonsdale, drame, algéried'être à nouveau ensemble. Ensemble, là, dans ce réfectoire aux murs nus, et ensemble avec ceux qui les entourent, dans ce qui tient à la fois de la communion et du don. Idée que l'on retrouvera un peu plus tard quand, lors d'une des sept prières de la journée, les moines feront corps et voix contre le vacarme provoqué par un hélicoptère de l'armée survolant le monastère.
 
Le décor minimaliste du monastère, le blanc et noir des chasubles, la beauté de l'Atlas - le film a été tourné au Maroc… Tout concourt à faire de Des Hommes et des Dieux un exercice de contemplation qui emprunte aussi aux pieuses images qui, de tout temps, ont nourri l'imaginaire occidental. Si Xavier Beauvois cite volontiers Mantegna, on pense également à Georges de la Tour et au Caravage, notamment à La Vocation de Saint Mathieu. Chaque détail, chaque couleur, chaque paysage renvoit à cette quête d'une harmonie de l'âme. A l'instar de ce plan qui voit les sept moines enlevés gravir une montagne dans le froid et la neige, s'épaulant les uns les autres pour rejoindre ce qui sera, suppose-t-on, le lieu de leur exécution et de leur supplice, et bientôt se fondre et disparaître dans le blizzard. Cette neige qui tapisse l'image, tombée de façon totalement inattendue durant le tournage.
 
Elisabeth Bouvet
Le 04/09/10
 
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Des hommes et des dieux
, drame français de Xavier Beauvois
Avec Lambert Wilson, Michael Lonsdale, Olivier Rabourdin...
2h
Sortie le 8 septembre 2010












Bande-annonce du film



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