L`Intermède
complices, frédéric mermout, cyril descours, nina meurisse, gilbert melki, emmanuelle devos, prostitution, drogue, prostitution masculine, putain, tapin, film, cinéma, critique, film français, polarL'aile et la cuisse
Prix de la mise en scène au Festival de Chicago en 2009, Complices, premier long métrage de Frédéric Mermoud, entre dans le cercle hypnotique de la prostitution de jeunes adultes. Noirceur des bas-fonds, éclat des comédiens.

Rebecca a les paupières un peu trop baissées, et ses joues replètes qui ne semblent pas encore avoir trouvé leur bonne tenue, accrochent bien la mousse du bain. A ses pieds, de l'autre côté de la baignoire, le profil de Vincent, dessiné d'un fin trait de plume, qui paraît ne pas avoir d'âge. Les sillons de bulles s'éclatent sur les paumes de leurs mains, tandis que les deux jeunes gens gloussent d'amour et se jettent l'eau savonnée à la figure. "T'as soif ?", lui lance-t-il. Toujours envie de boire, de manger, ces deux gloutons. Ils sautent du bain, courent dans le salon de la suite pour vider le mini-bar, toussotant à chaque gorgée trop chaude. C'est le client de Vincent qui régale, un bedonneux parti quelques secondes plus tôt, laissant le jeune homme seul, nu, dans les draps de la chambre 4 étoiles, une poignée de billets lisses échouée sur la table de chevet. Quelques instants plus tard, le voici spumeux, son sexe à peine dissimulé dans les flocons de savon, accroupi, laissant choir sur la moquette quelques gouttes qui dévalent sa colonne vertébrale et la rainure de ses fesses, aux côtés de Rebecca, aux hanches généreuses, qui l'aime et qu'il aime. "Santé !", rit-elle. Quelques jours plus tard, le corps de Vincent est retrouvé dans le Rhône, inanimé.

Si ces deux-là sont complices, c'est de s'aimer un peu trop, comme on le fait quand on n'a pas 20 ans. Et d'une sombre affaire, aussi, qui a mené Vincent là où commence le film, sur le macadam d'une rive où ses yeux grands ouverts sont éteints. Les inspecteurs Hervé Cagan (Gilbert Melki) et Karine Mangin (Emmanuelle Devos) doivent maintenant remonter le fil, jusqu'à la rencontre entre Vincent, dit "Vince", garçon bien sous tout rapport, hygiène de vie impeccable, sourire charmant, débrouillard, enjoliveur, complices, frédéric mermout, cyril descours, nina meurisse, gilbert melki, emmanuelle devos, prostitution, drogue, prostitution masculine, putain, tapin, film, cinéma, critique, film français, polaraussi naïf que sûr de lui, et Rebecca, qui a cédé en deux clins d'oeil, aveuglément. Deux mois de plaisir charnel, d'impression de liberté, de franchissement des limites, caméra à l'épaule, pellicule safranée, contre huit jours pour les deux policiers engoncés dans leur solitude affective et sexuelle, qui parlent de rencontres sur Internet en tons bleuâtres, et ont bientôt renoncé à leur bonheur.

Trop simple de dessiner, d'un côté, un monde adulte marmoréen en plans américains où les illusions se sont dissoutes dans les insomnies, de l'autre, une jeunesse qui se brûle les ailes à coup de centilitres d'alcool, herbes consumées et baisers charnus. Pour son premier long métrage, Frédéric Mermoud joue de cette dichotomie forcée pour mieux brouiller les pistes. A commencer par le genre de Complices, dont la surface ripolinée du polar classique se craquèle par instants pour faire exploser dans un effet de réel vertigineux, des figures qui en font un film de personnages, au sens noble. La fluidité de la narration, qui alterne sans temps mort les allers et retours entre le passé et le présent, ne forme bientôt plus qu'un seul fil, un portrait en choeur et en creux de l'isolement que toutes et tous, amoureux aujourd'hui ou amoureux jadis, comme semblent l'être les deux inspecteurs, subissent. Les cordes vibrantes du compositeur Grégoire Hetzel, qui sonnent plusieurs fois comme un rappel de l'issue fatale, entre deux morceaux de pop, pétrissent la noirceur de l'histoire de romanesque, terme qu'aime à répéter le cinéaste. Il n'y va pas de l'absolu, mais d'une forme d'idéal amoureux bercé dans des rêves.

Demander à Emmanuelle Devos de camper une flic célibataire, qui passe ses soirées sur des sites de rencontres et cherche un donneur de sperme, était déjà prendre à rebrousse-poil cette comédienne au phrasé lancinant, objet de désir dans chacun de ses précédents longs métrages. Un brassard rouge au bras, flottant dans son manteau trop grand, les cheveux brochés à la verticale, elle donne de l'élégance à son personnage en un port de tête complices, frédéric mermout, cyril descours, nina meurisse, gilbert melki, emmanuelle devos, prostitution, drogue, prostitution masculine, putain, tapin, film, cinéma, critique, film français, polarmajestueux, et reprend ses galons de femme lorsque la caméra de Mermoud la capte de trois-quart, les ondulations relâchées sur les épaules, riant aux traits d'esprit d'un Gilbert Melki juste, comme à son habitude, le regard noir aussi tendre que dur, avec cette voix pondérée qui ne colle pas tout à fait avec son visage bourru. Il y a comme un renversement d'optique, un trompe-l'oeil permanent dans Complices, qui ébranle à chaque moment les perspectives.

Il en va ainsi de cette bourgeoise en tailleur cintré, de bonne éducation, qui assume sans ciller devant l'inspecteur qu'elle et son mari ont monnayé les services sexuels de Vincent, "cinq fois ces huit derniers mois". 200 euros la rencontre, dans un hôtel luxueux. Pas de fausse pudeur, ni honte ni fierté, mais la simplicité d'un constat. Et cette femme affirme que Vincent était bien dans ses pompes, savait très bien ce qu'il faisait. Quand Hervé Cagan lui demande s'il lui arrive de participer avec son mari à des "parties fines", euphémisme hypocrite pour désigner les orgies organisées dans des villas privées, son regard se glace : "Sûrement pas." Non, se payer les services d'un prostitué à peine majeur ne signifie pas qu'on n'a pas son sens de l'honneur ; pas plus qu'on n'est pas épanoui dans sa vie sexuelle. Simplement un échange de bons procédés, et une responsabilisation de son corps.

La bienveillance de Vincent à l'égard de ses clients masculins, majoritairement des hommes mariés et pères de bonne famille, participe également de ce renversement des valeurs. Il remplit sa part de contrat ("Je suis en mode automatique", explique-t-il à Rebecca quand il lui révèle ses activités), et ne se pose aucune question sur le fait que ces hommes aient besoin de se repaître du corps d'un éphèbe. Chacun ses problèmes, chacun ses doutes ; lui doit s'occuper de son business florissant et continuer à partager son pécule avec son mac, un garçon de 18 ans également, au coeur d'un réseau de prostitution. Tous ces jeunes gens ne viennent pas d'un milieu défavorisé. A priori, ils ne correspondent pas aux stéréotypes que l'on se fait de la prostitution. Tapiner devient, ici, une façon de découvrir sa sexualité, plutôt qu'une inexorable perdition. Quand Rebecca se joint à son amant pour satisfaire un complices, frédéric mermout, cyril descours, nina meurisse, gilbert melki, emmanuelle devos, prostitution, drogue, prostitution masculine, putain, tapin, film, cinéma, critique, film français, polarclient, la souffrance de ce quadragénaire à la chair spongieuse semble, un court instant, vibrer au contact de l'épiderme ferme du couple qui se referme sur lui. Il semble hurler autant sa souffrance que sa volupté. Mermoud ne va pas jusqu'à faire l'apologie de la prostitution - le sang finira bien par gicler -, mais en démonte la représentation éthique que l'on plaque trop facilement dessus. L'idée n'est pas neuve : nous sommes toutes et tous, autant que nous sommes, des putes et des putains prêts à nous prostituer pour un peu d'amour. Mais les héros esseulés de Complices prouvent qu'il n'y a pas à en avoir honte.
 
Bartholomé Girard
Le 19/01/10
 




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Complices
, drame français de Frédéric Mermoud

Avec Cyril Descours, Nina Meurisse, Gilbert Melki, Emmanuelle Devos...
Sortie le 20 janvier 2010
1h33











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