L`Intermède
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LA BRUTALITÉ APPARENTE et simpliste du titre ne présume en rien de la complexité du film. Si Baïonnette au canon !, réalisé en 1951 par le jeune Samuel Fuller, comporte certes tous les attributs du genre "film de guerre", des morts en cascades jusqu'au jargon militaire fidèlement restitué, il constitue cependant l'un des films les plus riches du cinéaste, situé bien loin devant son pendant commercial, Au-delà de la gloire, réalisé 30 ans plus tard. Passé relativement inaperçu à sa sortie, Baïonnette au canon ! bénéficie aujourd'hui d’une ressortie DVD. L'occasion de (ré)apprécier les qualités indubitables de ce "petit" film.

Par Thibaut Matrat

LA QUASI-TOTALITÉ DES LONGS MÉTRAGES de Samuel Fuller sont bâtis sur le même modèle : des œuvres brèves, à l'histoire ramassée et au rythme incisif, qui accrochent le spectateur dès les premières minutes pour ne le lâcher qu'une heure et demie plus tard, jamais plus, et parfois moins. Baïonnette au canon !, le quatrième film du cinéaste, se conforme entièrement à ce modèle. L’histoire tient en quelques mots : durant la Guerre de Corée, une escouade de 48 soldats américains est choisie pour mener à bien une mission suicide, à savoir occuper une position stratégique en plein territoire ennemi, au cœur de massifs enneigés et difficiles d’accès, de façon à permettre au gros des troupes de se replier sans dommages. Dans cette "arrière-garde", comme on l'appelle, se trouve le caporal Denno (Richard Basehart), un soldat traumatisé par sa formation militaire à tel point qu'il en a maintenant peur de prendre le commandement. Heureusement pour lui, ses trois supérieurs, Gills, Lonnegan et Rock, sont présents pour diriger les troupes baonnette au canon, baonnette, canon, baionnette, samuel, sam, fuller, dvd, sortie, critique, analyse, image, photo, photos, interview, citation, citations, poster, affiche, traduction, corps, armeet repousser les assauts répétés des Coréens. "Il n'y a aucun risque pour que tu te retrouves avec la charge de colonel", lui répète sans cesse Rock, pour le rassurer. Évidemment, et avec une ironie toute fullérienne, les trois vieux briscards que sont Gills, Lonnegan et Rock tombent les uns après les autres sous les balles coréennes. Denno se voit bien obligé d'assumer la charge de colonel, et de surmonter son trauma pour tenter de sauver la mission.


Explosions

LE FILM COMMENCE par une explosion. Une jeep, roulant sur un chemin enneigé et cahoteux, se laisse brutalement surprendre par un tir de mortier ennemi. Point commun avec le Démon des Eaux troubles (1954), long métrage qui commence par la mise à feu d'une ogive nucléaire et dont la voix-over du narrateur précise qu'il "raconte l’histoire de cette explosion". Si Baïonnette au canon ! ne raconte certes pas "l'histoire d'une explosion", il semble néanmoins que ledit film ne soit qu'un prétexte pour en filmer. En témoigne le nombre anormalement élevé, même dans un film de guerre, de scènes d'affrontements et de tirs d'obus. C'est que "les jeunes cinéastes américains n'ont rien à dire, et Samuel Fuller encore moins que les autres, comme l'écrit Luc Moullet à la sortie du film (1). Il a quelque chose à faire, et il le fait naturellement, sans se forcer."

ET CE QUE FULLER AIME, naturellement, ce sont les explosions, qu'elles soient visuelles, psychologiques (dans le cas de Denno), ou même narratives. Car si ce motif est bel et bien ancré dans le film même - une longue séquence est par exemple consacrée à la traversée d'un champ de mines par les soldats, qui ignorent bien sûr l'emplacement de ces dernières -, il l'est également dans la façon de mener le récit, qui peut être dite, à ce titre, "explosive". La méthode fullérienne est en effet assez déroutante : "comme Fuller aime tourner, bien plus qu'un tout, une suite de scènes qui lui plaisent ; libre, il néglige le reste, toutes ces liaisons obligatoires : il les escamote au découpage ou au tournage — d'où ces trous multiples — ou il s'en désintéresse — et la direction d'acteurs devient pratiquement nulle", rapporte Luc Moullet. Le film entier en devient étrange. Les dialogues de Baïonnette au canon ! semblent en effet n'avoir aucune valeur, si ce n'est celle de lier un corps à un autre par la parole. Témoin, la première séquence de discussion entre les soldats : Fuller y multiplie les plans, les entrecroisant et sautant fréquemment l'axe des 180° règlementaires, jusqu'à faire douter le spectateur du sens des paroles prononcées.

baonnette au canon, baonnette, canon, baionnette, samuel, sam, fuller, dvd, sortie, critique, analyse, image, photo, photos, interview, citation, citations, poster, affiche, traduction, corps, armeLA NARRATION EST AINSI mise au service du corps et de la gestuelle. Dès qu'il le peut, le cinéaste se met à filmer un soldat qui déambule au milieu des autres, qui donne des ordres à tous ceux qu'il croise, le tout en un long travelling circulaire, ou ce même soldat, qui glisse cette fois dans la neige pour esquiver les tirs ennemis, avec un nouveau mouvement de caméra, le plus ample possible. Le corps prend alors une importance capitale : centre du film, il est ce vers quoi tout est dirigé. Il peut être amputé - l'oreille de Jonesy est arrachée par un tir ennemi - ou encore "charcuté" - quand le chirurgien s'auto-soigne -, voire carrément dysfonctionnel : lorsque les soldats de l'escouade prennent trop froid, ils finissent par ne plus pouvoir marcher. Il leur faut alors sauter sur leurs pieds pour faire de nouveau "circuler le sang", pour remettre leur corps en marche. C'est en partie de cet amour pour les plans de pieds - Luc Moullet dit d'ailleurs de Fuller qu'il est "philopode" - que le cinéaste tire sa réputation de cinéaste dit "physique". En anglais, cinéaste de l' "e-motion", de l'émotion qui vient affleurer à la surface d'un corps et qui trahit un mouvement intérieur. Car le corps, dans toute l'oeuvre de Fuller, est nécessairement en mouvement. D'où le choix récurrent du film de guerre et du soldat, qui est quasiment un type fullérien : "Un soldat ne doit penser qu'à deux choses, dit Rock. Son fusil et ses deux pieds." Ainsi, que ce soit par le trajet de la balle de fusil ou par celui de ses propres pas, le soldat fullérien est toujours un aller-vers, toujours un processus, - et Baïonnette au canon ! est, de fait, l'histoire d'un processus : celui de l'apprentissage du commandement par Denno, commandement qui correspondra à la maîtrise de son propre corps, et à terme, de celui de tous les autres soldats. En clair, la maîtrise du corps militaire.


Marche

MÊME SI FULLER s’ingénie à familiariser le spectateur au groupe tout entier de l'escouade, prenant le temps de filmer les interactions entre militaires et autres dialogues quelque peu triviaux, il n'en reste pas moins que le personnage principal est bel et bien Denno, et que c'est son corps qui occupe le premier plan. Fuller le filme comme s'il lui manquait quelque chose, comme si Denno était situé dans un entre-deux. Il est celui qui va devoir changer, qui va devoir subir un processus de changement, afin de se surmonter et d'apprendre à devenir colonel pour pouvoir mener le groupe entier. De ce point de vue, Baïonnette au canon ! met en scène un processus similaire à ceux des plus tardifs Naked Kiss (1964) et Shock Corridor (1963) : celui d'une dualité qui va se résoudre en une unité.

PAR LUI-MÊME, le titre du film implique déjà un rapprochement entre deux corps : fixer une baïonnette à son canon, c'est le geste de rigueur lorsque l'on a décidé de se rapprocher de l’ennemi pour l'abattre à bout portant. Denno n'est certes pas, comme Johnny Barrett dans Shock Corridor, un personnage à double personnalité. En revanche, il rencontre au cours du film plusieurs doubles de lui-même. "Il y a le système des potes (buddies), lui dit un soldat. Tu as un pote et ils te mettent avec ton pote, tous les deux ensemble." Les doubles de Denno, ce sont ses trois supérieurs, dont la figure la plus marquante reste Rock (Gene Evans). Le simple caporal Denno, qui "sait obéir, mais ne sait pas commander", a en effet sans cesse affaire à ces trois personnages. Le cinéaste, d’habitude si expéditif, prend ici tout son temps pour filmer ces confrontations

baonnette au canon, baonnette, canon, baionnette, samuel, sam, fuller, dvd, sortie, critique, analyse, image, photo, photos, interview, citation, citations, poster, affiche, traduction, corps, armeVERS LE MILIEU DU FILM, par exemple, Denno doit traverser le champ de mines redouté pour aller récupérer le lieutenant Lonnegan, blessé à mort de l'autre côté. Leurs deux corps sont en opposition, l'un plongé dans l'ombre, l'autre dans la lumière. En une lente avancée, très découpée au montage, le caporal réussit finalement à rejoindre le colonel. Il le hisse sur son dos et commence à revenir vers le camp en "marchant dans ses propres pas". Mais comme de coutume, la confrontation avec un double ne peut aboutir qu'à la mort de l'un des deux concernés : "Tu portais un mort", dit Rock à Denno, qui pose le corps sans vie de Lonnegan sur le sol. La mort de ce même Rock, qui interviendra peu après, est également la mort du dernier supérieur, le moment du "passage de témoin" entre le colonel et son caporal. Filmée en champ-contrechamp, la scène, poignante, montre Rock qui meurt les yeux ouverts, lâchant à son ami et successeur Denno un lapidaire : "Je suis mort." Dès lors, le processus d'apprentissage est achevé : Denno change du tout au tout, brutalement, et sans psychologie aucune. "Mettez-le dans une couverture, enterrez-le, et marquez-le", lâche-t-il, sans émotion, en une imitation parfaite de Rock. Une fusion. À plusieurs reprises, le nouveau colonel entend d’ailleurs la voix de l'ancien dans sa tête, qui lui dicte la marche à suivre. La mort des doubles semble ainsi avoir été pour Denno l'occasion d’absorber ces mêmes doubles, d'obtenir la maîtrise de son propre corps en les faisant entrer en lui.



Unité

LORSQUE LA DUALITÉ S'EST ENFIN RESORBÉE, Fuller filme une unité des corps de l'escouade. Le nouveau Denno résiste à la tentative d'insubordination d'un des membres et, immédiatemment, impose au groupe une unité par son commandement. Le groupe hétéroclite devient ainsi un corps, et la définition même du "corps militaire". Pendant deux minutes, la caméra glisse alors sur les visages des différents personnages, en un unique travelling les liant tous les uns aux autres, tandis que nous entendons tour à tour leurs pensées. C'est la diversité dans l'unité : Denno, par son commandement, a réussi à unifier toute l'escouade. Et rien ne peut plus espérer résister à un corps militaire uni et fonctionnel : les Américains, qui étaient coincés dans une grotte et à deux doigts de capituler, en sortent finalement et repoussent tous les Coréens. Ces derniers sortent alors leur arme suprême : un gigantesque tank. Mais depuis de multiples points de l'espace, qui sont ici autant de plans (la diversité… ), les membres de l'arrière concentrent leurs tirs sur le tank ennemi, quant à lui toujours cadré selon le même axe ( … dans l’unité). Ils réussissent à le faire exploser.

BAÏONNETTE AU CANON ! aurait pu, tout comme il avait commencé, s'achever sur cette explosion. Mais Fuller a besoin d'un dernier plan. Celui du retour de l'arrière-garde vers leur régiment, qui correspond au dernier lien du film, au rétablissement de la situation d'origine. Une fusée éclairante vient jeter une lumière désabusée sur les corps des soldats traversant une eau glaciale, éreintés par le combat, filmés en un unique baonnette au canon, baonnette, canon, baionnette, samuel, sam, fuller, dvd, sortie, critique, analyse, image, photo, photos, interview, citation, citations, poster, affiche, traduction, corps, armeplan. Denno clôt la marche, sans dire un mot. Car c'est maintenant Rock qui parle, dans son corps : "Personne ne cherche les responsabilités, dit-il. Mais parfois on les trouve." Et il ajoute "You're not corporal for nothing, huh… ? Corporal !" Cet appellatif dont la traduction française signifie tout autant "caporal" que... "corporel".

T. M.
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à Paris, le 10 octobre 2012

Baïonnette au canon ! (Fixed bayonets !)
Un film de guerre américain de Samuel Fuller, 1951
Avec Richard Basehart, Gene Evans, Michael O’Shea...
Réédition en DVD en France en septembre 2012
Durée : 1h28


(1) Les citations de Luc Moullet sont extraites des Piges Choisies, parues chez Capricci en 2009, plus particulièrement de l’article "Sam Fuller sur les brisées de Marlowe", paru en 1959 dans les Cahiers du Cinéma.


 



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